6.11.06

Swimming papa poule

"Le premier qui touche la ligne du fond a gagné !"

Au moment même où je dis ces mots, je me rends compte à quel point c'est stupide.

J'accompagne la classe d'Anton à la piscine. La maîtresse m'a donné des instructions claires pour gérer un petit groupe (dont Anton), et je m'y tiens à peu près, même si mon côté prof cherche parfois à reprendre le dessus.

Exercice 3 : plongée
Les enfants plongent pour ramasser un objet au fond de la piscine, et...
je passe la suite.

Les six petits montres me regardent comme des grenouilles et me demandant, M'sieur, M'sieur, Manu, Papa, on fait quoi ?

Il reste 2 mn avant la fin du cours, pas le temps de les faire passer les uns après les autres pour vérifier s'ils font tout bien comme il faut, avec bascule du bassin, vidage des poumons, traction sur les bras et mouvement des jambes ; donc, je shunte la partie "objet au fond" pour qu'ils fassent le mouvement et basta...

Et, spontanément, c'est une consigne de compétition qui me vient.

Le premier qui. Le plus vite. Le plus longtemps.

Putain, Causse, fais gaffe, merde. Tu es écrivain, pas prof. Tu pouvais leur raconter vite fait une histoire de pêcheurs de perles, de Fort Boyard, de sauveteurs en mer... mais non. Toi, ce qui te vient à l'esprit, c'est "moi contre le groupe". Alors que c'est ce que tu as le plus détesté, à la fois comme élève et comme prof...

Le premier qui.

Et Anton qui se précipite, les poumons à moitié plein ; je vois - non, même à cette distance et sous l'eau, je sens - la tension que je viens de lui transmettre, la pression du papa qui s'additionne à celle d'Archimède, ses mouvements trop pressés pour se coordonner... Plonger ? Ce n'est plus le but. Il faut être le premier, pour gagner, pour faire comme Papa a dit.

Quelques secondes après, il sort de l'eau, et je n'ai même pas besoin de le regarder pour savoir qu'il pleure et grince des dents. Abdou est descendu plus vite. Tania est restée plus longtemps...

Deux autres enfants ont l'air aussi déçus : en plus de ruiner le plaisir de mon fils dans l'eau, je donne des mauvaises bases aux autres... Heureusement que j'ai arrêté d'être prof, tiens.

Dire que j'ai passé les plus belles années de mon enfance dans une piscine...

Mon père, à l'époque, était un athlète gigantesque et bronzé qui me faisait fendre les flots sur son dos ; en tant que maître-nageur, il avait la toute-puissance sur les clés de la piscine, et mes soeurs et moi restions des heures à jouer dans l'eau, à sauter, à plonger... Même le soir, quand tout le monde devait quitter les lieux, nous avions le privilège de rester jusqu'à la nuit.

Il y avait aussi la rivière, le Verdouble dont Nougaro parle dans une de ses chansons : là aussi, j'ai été plongeur, explorateur, navigateur, homme-poisson, marin perdu dans la tempête... L'expression "comme un poisson dans l'eau" est stupide : j'étais bien mieux que ça.

Puis un jour, j'ai fait de la Natation. La natation, c'est comme quand on nage, sauf qu'il n'y a aucun plaisir : il y avait des lignes, il était interdit de pisser dans l'eau et mon crawl d'indien était améliorable.

Améliorable ?

Je m'en suis remis, j'ai fait comme on me disait de faire ; effectivement, je peux aller plus vite et plus longtemps, et j'apprécie même de temps à autres d'aller faire quelques longueurs - sauf que je m'ennuie beaucoup dans ma tête (comme dans l'expression "tête pleine d'eau"...) J'ai également appris à gérer les interdictions hygiénistes. Mais le plaisir ? Mettons, pour faire simple, qu'il est différent. Que c'est une bonne chose de connaître les deux - même s'il m'a fallu beaucoup de temps pour retrouver le premier.

Là où je m'en veux, quand même, c'est qu'au moment où je pourrais apprendre quelque chose à quelqu'un, je suis incapable de le mettre en situation, de lui montrer la voie par laquelle il peut comprendre que c'est d'abord un plaisir... au lieu de ça, je transforme mon fils et tous ses copains en enragés de la compète et de la performance. Et je manque faire se noyer Anton.

Tant pis.

Je ferai mieux la prochaine fois.

Et je saurai lui dire, à mon Anton,
Prince, tu seras toujours mon premier à moi...




Ce post était sponsorisé par l'APPPT, l'association des papas profs qui se prennent la tête.




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