22.7.12

1012- Liens familiaux

Sans titre
1. Un rêve

Mon grand-père se tenait courbé, le regard fixe ; une chaîne entravait ses mains et ses pieds. Pour qu'il ne se nuise pas à lui-même. Les électrochocs avaient brûlé son cerveau, sa capacité à ressentir, à partager. Parfois, pourtant, il souriait. Une peur-chagrin magnifique respirait dans mon ventre, avant de retomber dans la satisfaction de l'avoir retrouvé, de lui parler malgré les interdits qui pesaient. Ma soeur, elle, connaissait son existence - depuis que vers vingt ans, inondée de sentiments dépressifs, elle avait eu le droit de rencontrer l'homme qui, dans son asile, tenait notre folie en réserve

Puis une partie irritée de mon esprit a grogné que cet homme était mort depuis longtemps déjà. Qu'il était trop tard pour les rêves.

Ensuite, mon faux copain François m'a piqué mon vélo, et bien qu'il sache s'en servir ça m'agaçait qu'il le malmène. J'en voulais à tous de profiter de moi.

Et dire que parfois tu te réveilles en te demandant pourquoi l'humeur te gratte.

Les enfants bougeaient déjà, et ma colère cherchait un objet - ou, moins que la colère, cette insatisfaction, ce manque d'espace où épancher la brûlure interne.

Bref, j'avais envie d'écrire - pour faire taire le grondement des entrailles.

Puis ce fut le matin, incapable de rester dans le tendre du lit, tiraillé, démangé. Et le soleil néanmoins, les enfants qui jouaient au carte. Pas trop tôt qu'on se débarrasse d'eux - et déjà pourtant le manque de leur douce obligation, des journées de famille recomposée au gré des coups de gueule et des illuminations. La maison comme cadre et prison. Les gestes habituels que je soupçonne de me nuire.

Je ne pense plus au cancer de mon père ; c'est une donnée, un fait acquis. Il s'est battu, il se battra à nouveau. Nous ne craignons plus le pire : nous l'avons accepté. C'est seulement le voir beau dans le soleil, l'accompagner à vélo sur trois générations, parler de rien sur l'air de tout - cela, oui, me fera souffrir l'année prochaine, quand je le reverrai faible, le ventre noué par la chimio, les yeux pâles, le crâne déplumé (inutile de le dire : j'imagine parfois traquer dans mon corps les cellules qu'il me lègue). Et néanmoins : sa force. Sa constitution. Son envie d'être là - renouvelée, je crois, par ces derniers mois.

Les rêves en ce moment tissent en moi du noir.

2. Un presqu'haiku des montagne

Herbe coupée, jardin en pente.
Petit oiseau noir sur un piquet -
On se contemple.


3. D'autres nouvelles ?

Si ces colonnes servaient à parler de moi, je te dirais que le temps fut doux, en montagne et sur les prés ; que j'ai perdu nos enfants dans le noir - mais qu'ils sont revenus. Que les amis. Que la famille. Que presque le calme dedans. Et que bientôt, pourquoi pas ? Rhodes, sac au dos (comment serai-je dans l'imprévu ? Je la plains d'avance).


4. Conclusion et moralité

Cet étrange écosystème qu'est
notre conscience (ma peau trop perméable et l'humeur massacrante, jaloux, résigné).


5. Parce que toujours pas satisfait


Le coeur éparpillé dans le prisme
des envies, des rancunes et des doutes,
un dimanche matin comme un manche,
Où serait l'équilibre ? J'aurais voulu m'absorber, mais
entre déguster et dégoûter, 
voilà que par malchance (ou incompétence, ou destin, ou volonté)
je me retrouve à
ma chère vieille place
où je me fonds, au fond, par habitude,
cherchant encore, comme toujours,
à lever le voile, le diaphragme,
à reposer les épaules
à apprécier le désordre sans vouloir l'organiser
à chercher l'explosion que je redoute
au risque de -
rien, sans doute.

6. Si j'étais écrivain

je dirais également : un recueil de nouvelles, une compilation d'images érotiques, un roman jeunesse et un bilingue goût vampires en attente chez des éditeurs. Espérons qu'ils auront envie de lire, cet été.