27.5.11

972 - Apprendre le croate avec une équipe de rugby - épisode 2

1) Deuxième jour : maaaatch et ses conséquences

Ainsi triomphons-nous de nos adversaires par un match nul ; recousant ce qui est à recoudre (une oreille), pansant ce qui est à (au moins un oeil), nous assistons au match suivant depuis la touche. Dans nos coeurs, la fatigue triomphante, la joie sauvage de ne pas avoir été anéantis par le golgoth croate, le doux sentiment du devoir accompli - "hébéputin", en toulousain dans le texte.
Au bord du terrain, outre nos douces admiratives, une sono guerrière qui ponctue chaque essai (peu nombreux) et chaque verre de bière (qui tombent dru) par un bruit assourdissant, mêlé de chansons du crus. Néanmoins, nous ne cédons pas à la torture psychologique, et nous préparons au match suivant.
Quand il s'agit de se re-échauffer, le bruit le plus audible est, sans conteste, celui de nos articulations ; trente minutes après notre miniguerre des tranchées, courir est, en soi, un exploit.
Plus qu'un match se dit "ouÿe". Fort heureusement, les Italiens que nous affrontons en conclusion du tournoi ont eux-même survécu à deux matchs contre des Croates, et optent pour un engagement tout relatif, façon Bisounours hésitants. On en profite pour marquer deux essais, nous assurant (si j'ai tout bien compté) une place de premier ex-aequo du tournoi ; comme il nous reste suffisamment de temps pour marquer quelques points et gagner ainsi de façon incontestable cette rencontre internationale, nous choisissons de merdoyer un certain temps, enchaînant passes ratées et erreurs avec une belle rigueur. (P., notre ailier-mascotte, s'offre en particulier un en-avant de toute beauté, dont il nous expliquera un autre soir la technique en remplaçant le ballon par une bouteille de vodka.) Néanmoins, le dernier tiers-temps nous offre l'occasion d'une paire d'essais supplémentaires, et c'est toukontan (heureux, en Croate) que nous regagnons les vestiaires. Un bonheur n'arrivant jamais seul, la pluie se met à tomber doucement, obligeant la sono à plier avant que les plus enragés d'entre nous n'aillent en bouffer les câbles.
Puis, dans l'ordre : bière, repas, bière, vin, chansons, discours, traductions, discours, bière, oupe-là il est temps de rentrer, bière, bus, bus, bus, bus, bus... bus, bus, bus... dormir, bus... bus... Ceux qui ne parviennent pas à dormir recomptent leurs douleurs et bonheurs du jour en regardant tourner la route côtière.
Puis hôtel, enfin, et comme on dit là-bas, bododo.

2) Troisième jour : "çaslev"

 L'expression "çaslev" se traduit en croate par "meuh non il ne pleut pas", ou "attendez un peu, le soleil arrive". C'est donc en se répétant ce nouveau terme que, ce dimanche-là, nous découvrons la petite station balnéaire de Cavtat (se prononce "savtat", si jamais). Bon, bin c'est de la mer, des pins, des sentiers, des murs blancs... sous la pluie. Enfin, pas la pluie vraiment, hein, juste cette espèce d'humidité fraîche qui rappelle la Normandie en avril ou l'Ariège en plein été.
On se croise dans les couloirs de l'hôtel et sur la promenade ; on échange des sourires un peu mous. Très vite, néanmoins, l'organisation reprend ses droits, et nous entamons la soirée par un apéro face à la mer, où le soleil, sans doute payé par le syndicat d'initiative, vient nous dire que oh, pas de blague, il sera là demain, et en plus il est super sexy sur l'Adriatique.
Pour conjurer le sort du mauvais temps, on décide au dîner de sacrifier aux dieux croates de la météo l'orteil enflé de C. - l'opération, sanguinolente, a lieu directement sur la table du restau, histoire de montrer qu'on n'est pas là pour se faire des collègues. Par la suite, la grande table du fond sera systématiquement occupée par les Gonins, malgré quelques tentatives de rapprochement de divers groupes attirés par le bruit.
C'est ce même soir que le fameux bar all-inclusive nous révèle ses premiers secrets : la pils croate, immédiatement surnommée pils d'âne ; la slivovic, traduite en anglais par "local prune brandy", et dont le nom est également synonyme de "brûlures d'estomac particulièrement vicieuses".
Malgré le froid et l'humidité, nous squattons la terrasse de l'hôtel, sauf pour des incursions sur la piste de danse. Est-ce ce soir-là qu'a lieu la première démonstration de paquito ? C'est possible, mais, comme on dit en Croate, "mal'latèt", ce qui signifie je ne me souviens pas bien.

3) Quatrième jour : le Monténégro ou l'autre pays du sourire

Petite république résolument tournée vers l'Europe (la guide tentera de recruter, non sans succès, quelques-uns de nos plus fiers rugbymen pour créer la future équipe monténégrine de rugby vétéran), le Monténégro - Montchinégro avec l'accent est... chouette.
Il y avait, dans l'ordre, du soleil moins timide (un poil de pluie), une église au milieu d'un lac calme, la muraille de Kotor, la guide, les rues de Kotor, la guide, le resto tranquille de Kotor, la guide... Nous apprenons le mot "trèjoli", qui désigne une accompagnatrice touristique aimable pour les yeux. C'est un vrai plaisir d'écouter/visiter/marcher dans cette ville aux murs de pierre, au croisement des influences vénitiennes, turques et slaves ; on croise quelques géants souriants ; le Monténégrin, nous explique-t-on, est célèbre pour la qualité de sa flemme. Nous assumons notre côté touristes en flânant dans la ville fortifiée.
Puis On laisse Kotor (et la guide, donc) avec quelques regrets, pour visiter une station balnéaire de moindre charme (blingbling, en monténégrin), puis un centre culturel de produits internationaux ("carrouf"). Malgré les craintes de notre guide, les douaniers peu enclins à la plaisanterie et craignant l'espionnage industriel, on nous laisse ressortir du pays sans trop d'encombres.
Bus, apéro, repas, bar et discussions philosophiques sur la terrasse : la soirée-type est établie, on prend nos marques.

20.5.11

971 - Peurs, entre autres

brillera pourtant
1) Accro

Me revoilà légèrement dépendant, tiens. Aux cigarettes et au Cannabols(r), un peu ; à la presse sur Internet, devenue en quelques jours une machine à twitter des détails juridiques, comme dans une mauvaise série télé.

A une certaine idée de la gauche, malheureusement. A l'envie d'en savoir plus, encore, sur les retombées du tsunami japonais, la situation en Côte d'Ivoire et dans les pays arabes, en Espagne. Sur ceux qui se persuadent qu'un parti populiste, outrancier, passéiste et hypocrite puisse les guider vers le bonheur.

Soudain craindre que le combustible nucléaire - car on utilise à présent facilement des mots comme "combustible nucléaire" - ne perce un joli trou dans la croûte terrestre et nous envoie en quelques mois rejoindre les quarks que nous n'aurions jamais dû quitter (explication rationnelle au soudain pétage de boulons d'un sanglier politique comme un autre).

Images d'apocalypse dans la tête, sans cette fois le gentil héros américain pour sauver le monde in extremis, quitte à y laisser sa peau ; images de retour ultra-rapide, une fois l'information diffusée, à la préhistoire - toute activité, toute société, cessée, oubliée, abandonnée.

Et cette envie, comme souvent, de crier

C'est pas bientôt fini, les conneries ?

2) Pendant ce temps-là dans la réalité...

... On ne peut que se féliciter de cet étrange douceur quotidienne, entre enfants qui grandissent, romans qui se terminent, traductions qui se poursuivent et travaux (un nouvel atelier/bureau/studio/chambre des délices !) qui commencent.

Peut-on, moralement, se contenter du meilleur ?

3) Collectifs

J'irai voir, mardi, Maître Manokus au cours de la prochaine conférence Goakéniste, à l'occasion de Time Opsis, fêtes des arts de l'université de Toulouse Mirail ; le même soir, je rejoindrai l'immonde Aymeric de la Mouille et la sublime Lola Parabellum, ainsi que les talentueux chroniqueurs de Pas plus haut que le bord, au Petit London de Toulouse France. Si vous n'êtes pas dans le coin, tentez votre radio, ou l'enregistrement en ligne un peu plus tard... A condition que le monde n'ait pas explosé avant.

Et encore. On peut toujours fabriquer de l'espoir.

4) Correspondances

Plus de lettres, cette semaine (sinon des conversations au sujet d'un putain de deuil, et des nouvelles tendres des amis) ; se demander où poser les pieds de ses mots. Attendre qu'ils sortent d'eux-mêmes, fermes et décidés.

Et qu'ils nous guident.



5) As it is

J'oublie les mots dont je me souviens,
cependant que
dans mon ventre
se fige la peur 
de n'être pas 
assez, suffisamment
pour l'autre,
s'il me ressemble.

Couler lentement, tout au fond, laisser submerger
Attendre
de ne plus rien attendre.

10.5.11

970 - Conseils pour une après-midi réussie

Halte aux photos flatteuses
1) La salle d'attente du médecin de mon fils

... où un article philosophique du Figaro Madame me recommande de séparer le privé, ce que l'on possède, de l'intime, ce qui nous dépossède d'une part de nous-même.
Comme quoi la sagesse peut se trouver n'importe où.
(Et qu'on n'est pas obligé de l'écouter).

2) Correspondances

Ouf. Je médite beaucoup moins en ce moment sur les raisons qui me poussent à envoyer chaque jour des mails intimes à quelques centaines de correspondant/e/s.
Du coup, je le fais avec davantage de joie.
Une question de respiration, je suppose.
(et on peut toujours s'y abonner, hein, ou y abonner les ami/e/s et amant/e/s et autres - la deuxième saison commence à peine).

3) Une nouvelle

... qui n'en est pas une, vu que c'est un roman : j'ai fini de taper le premier jet de L'eau des rêves, roman sous contrôle. Je me sens un peu plus auteur, un peu plus autorisé.
Bon, c'est pas tout ça, maintenant faut passer à la relecture... des volontaires ?
(moi ?)

4) Une annonce

Ce soir, Pas plus haut que le bord, 20h en direct du Petit London. Et sur internet, bien sûr.
Avec des vrais morceaux de droite, de Croates et de rugbymen à l'intérieur.
J'aime bien mon odieux personnage, et j'aime bien aussi le collectif qui se forme peu à peu autour de cette émission.
Comme s'il restait de l'espoir, question politique.

9.5.11

969 - Apprendre le croate avec une équipe de rugby (épisode 1)



1) Premier jour : hvala

Le premier mot que nous apprîmes fut hvala, (prononcer plus ou moins "voilà"), qui signifie "merci" : un groupe aux polos identiques - malgré quelques réfractaires - hall contrôles frontière avion aéroport, puis, descendant de l'avion, des cyprès et des roches, une lumière douce, une rangée de bus, attendre, hésiter, écouter les explications d'une guide au sourire croate (hvata, synonyme de "parcimonieux"), hôtel, valises, chambres, bracelets de touristes, briefing aux allures de cours magistral, restaurant - où nous apprenons que le mot allinclusive signifie plein de trucs gras et pas très bons. Remontés dans le hall vide, première connexion avec l'alcool local (slivovic, qui signifie "tousser en pleurant"). Et puis au lit parce que demain match, non mais.
Hvala, hvala - première journée.

2) Deuxième jour : ragby

La Croatie est un pays côtier, du moins sur sa côte. Côtier, et montagneux : monter dans le bus et enchaîner les virages en direction de Split, quelque 250 kilomètres au nord. Des paysages abrupts sous un ciel préoccupé ; nous dormons à tour de rôle. Petite escale technique dans le premier pays traversé - oui, parce que là-bas, la frontière est une valeur d'avenir, on en met dans tous les sens. Bienvenue en Herzégovine, donc (on dit BiH), où le prix des cigarettes et du café ont baissé depuis la guerre (la guerre ? Quelle guerre ? Nous n'apprenons pas ce mot).
Arrivée à Split, où, sans doute troublés par cette histoire de frontière, nous marquons notre territoire en pissant un peu dans tous les coins - qui sur un arrêt de bus, qui dans les douches des vestiaires, au grand dam d'un dirigeant local.
Le ciel est devenu jaune, le terrain est sec, cerné d'immeubles bas ; par un boyau étroit, une guide anglophone nous conduit vers la vieille ville. Elle nous parle, entre autres, de sa passion du ragby, du club local du Nada Split (qui joue sur l'ancien terrain du Hajduc, les footeux locaux), des festivals de la ville...
Je n'écoute que d'une oreille. D'une part, notre gentille guide a tendance à ne parler qu'en présence d'une source de bruit (troupes krishna, sono, marteau piqueur), d'autre part je suis déjà dans le match.

3) Maaaatch


Le mot suivant que nous apprenons en croate est le mot golgoth, qui désigne un ailier plutôt frêle. Pour te donner une idée du premier contact avec nos adversaires, il faut que tu comprennes que nos deux plus grands joueurs arrivaient à peu près à la hanche de leur plus petit golgoth. Crois-tu que nous avons eu peur (euh, oui) ? Fi donc. Personnellement, je les ai regardés droit dans les genoux.

S'affrontaient donc, ce jour-là, deux équipes croates (le Nada Split, déjà cité, et une autre dont je n'ai pas compris le nom, menée par un golgoth souriant et moustachu immédiatement surnommé Astérix), une équipe italienne et les Gonins partis à l'aventure.

Première impression : c'est des monstres. Au cours de la première rencontre, on regarde les Croates démonter de l'italien à la cisaille et au burin, et on sent qu'on va pas avoir un match facile.

Puis c'est à nous. Première équipe de Croates, bon : du gros plaquage, du hors-jeu comme s'il en pleuvait, et, tiens, cet arbitre qui ne semble pas connaître les mêmes règles que nous. On passe deux ou trois fois, avec des ailiers si bien servis qu'ils finissent épuisés, par laisser un talonneur marquer en coin ; la touche est pénible parce que les gros ne peuvent pas sauter, m'en fous je joue troisième pompe, c'est Fifi qui fait les lancers et rattrape mes erreurs de défense. Je ne me souviens pas avoir touché un ballon, mais bon, on n'est pas là pour ça, on est là pour gagner, oui.

Repos en regardant, je suppose, les petits Croates manger les italiens.
Et bientôt c'est à nous, pour la suite.

4) MAAAAAAAAAAAAAATCH !

Le mot suivant que nous apprenons en croate est le mot ankulajasec, qui signifie "arbitrage maison". Si on a tout bien compris, dépasser la défense adverse avec un ballon en mains est défendu ; nos en-avants sont sanctionnés par des pénalités, les leurs... bin eux, ils n'en font pas, comme explique Stéphane dans un anglais parfait à un arbitre ébahi (quoi, c'est pas ça qu'il lui a dit ? ah bon, j'avais mal compris).
Et ces regroupements... un festival de plongeons. Pas étonnant que les types soient forts au water-polo.
Ramasser un ballon qui traîne est synonymes de coups de boules et de découpage en biseau. Ca sent la guerre de tranchées.
On est à la limite de flancher. Ou plus exactement, on serait à la limite de flancher si nous n'étions pas des Gonins.
Bon, on va pas se laisser emmerder par des croates, si ? Au cul, les cro(a)tes, s'exclame l'un de nous dans un élan lyrique. Veulent jouer aux cons, bin, on est là... (Oui, je l'admets, c'est toujours un peu, le rugby. Le sport en général, peut-être. Le moment où on est nous et ils sont eux. Mais bon, c'est sur un terrain, alors ça passe, je suppose).
Dans la dernière mi-temps, Fifi est chargé des échanges linguistiques : "Ah, tu parles français ?" demande-t-il à son vis-à-vis en mêlée. "Alors tu comprends 'ta gueule connard' ?".
Il est donc logiquement chargé sur-le-champ des échanges de baffes.

Je me souviens d'un défilé de jambes interminables à cisailler, de lancers de merde en touche, de plaquages (réussis), de plaquages (moins réussis), de regroupements, de plaquages... Bref, de la solidarité et du jeu d'avant. Avant-guerre, sans doute.

Et puis à un moment, c'est fini. O-O. On a gagné.