17.6.13

1046 - Questions, donc


1. Question matinale

Une photo anonyme
Je lis, là et là, des blogs ou des nouvelles ; intéressants, parfois. Mais les voix qui les accompagnent me paraissent de plus en plus marquées par la bêtise assumée, par le vide de la pensée, par la formule toute faite et claironnée fièrement.

C'est moi, ou le Net devient con ?


2. Question sensibilité

Ou alors c'est moi. La barrière de la peau trop fine, la sensibilité trop en avant - bref, pas moyen de se carapacer. Alors je me carapate. Me retranche dans ce fortin - mais je te rassure, lecteur, tu es de moins en moins nombreux.

Hier soir, je pensais à ces sculptures antiques admirées l'été dernier à Rhodes et Kalymnos - et aux premiers dessins malhabiles de la civilisation chrétienne qui leur succède. Je pensais que l'art pariétal de la préhistoire montre des ruptures prodigieuses - un achèvement magnifique suivi, quelques millénaires plus tard, d'oeuvres moins parfaites, moins maîtrisées. Brouillonnes, même, à la lumière des précédentes.

Tu crois qu'on va faire pareil en passant du livre au numérique, de l'art à la culture, de l'image à la vidéo ?


3. Question d'image

Pourquoi donc l'image
d'un vieil homme levant son bâton au flanc pelé de la montagne
Criant au ciel
pour que s'ouvre le flot dévalant du bétail dans la poussière

- et nous épargne et se referme derrière nous -

évoque-t-il en moi le mot vagin ?


4.  Question de finir par


Samedi, un nouveau projet pousse ; je ne t'en parle pas plus, mais il regroupe du beau monde dans un château. Samedi aussi, Tonton Maurice n'est toujours pas mort - et peut-être aura-t-il des petits frères. Dimanche, fête des pères : je deviens un gentil vieux con à serrer dans mes bras mes ados de plus en plus radieux ; et vibre encore un peu l'inquiétude de mon père. Croisons les doigts.

Lundi il fait gris, la voiture est foutue, les projets néanmoins avancent ; je vais jeter un oeil à une conférence gesticulée en cours d'écriture et je reviens parler de cinéma  - si le dentiste me laisse de quoi parler, évidemment)

Oh, et enfin, en parlant de nudité (de la voix, hein) : deux petites chansons sur un très vieux blog. Mais si tu préfères plus léger, tu trouveras ici le jingle de la prochaine - et dernière - émission de Pas Plus haut que le bord



13.6.13

1045 - Toucher n'est pas jouer

1. Comme des bêtes

Et comme souvent, c'est par hasard que je vois un film - venu là pour un autre, après une erreur d'horaire, et la caissière qui insiste - si, si, vous verrez, c'est vraiment. J'hésite un peu sur le pitch, ça se passe en Hongrie, avec des Tziganes et des meurtres. Un instant, je songe repartir, et puis quoi ? Toujours regarder des oeuvres confortables ?

Je m'installe. Des gens chantent autour d'une tombe.

Confortable, le film ne l'est pas. Il commence dans la pénombre d'un matin. Gestes quotidiens. Lents, très lents. Insignifiants - comme le destin de la mère, qui attend le minibus pour aller nettoyer les papiers gras aux abords d'une autoroute.
Les abords. Les lisières. Les franges. C'est dans ce monde de débris que nous avançons, avec elle puis tour à tour ses deux enfants. La fille va au collège, le garçon fait l'école buissonnière. Le père est parti - au Canada, où il les fera venir, c'est promis. Il y a aussi le papy, qu'il faut nourrir à la cuillère. Qui grogne au lieu de parler. Animal.
Animal comme les garçons qui bousculent les filles ; animal comme l'homme qui s'emporte, alcoolisé, contre un passant - des chiens aboient en arrière-plan, sous-titres de l'algarade. Animal comme les yeux baissés de la fille et de la mère, filmées au plus près - ne pas lever les yeux, ne pas déclencher la colère, passer inaperçu. Ne rien voir - se glisser dans les scènes quotidiennes, la salle de classe ou les étranges dépotoirs où s'agitent drogués, alcooliques, paumés. Quasiment rien ne s'échange - à peine un baiser sur le front, un dessin échangé, une fillette avec qui on joue. Le monde est minuscule, étouffant, autour d'eux.
Mais un panneau nous a prévenus dès le début : quelque chose rôde. Malgré les dérisoires milices, malgré les policiers hésitant entre indifférence, mépris et haine raciste. Quelque chose tourne dans les bois abandonnés - peut-être le cochon de la famille tzigane assassinée quelques jours plus tôt. La tragédie s'avance, lente comme un jour mort. Et la nuit vient.

Il y a des films - je le disais hier - qui touchent. Et il y a des films qui habitent. Celui-là en est. A l'heure où l'Europe semble à nouveau grignotée par le spectre brun, à l'heure où l'indifférence est quasiment de mode, où, après tout, c'est aux autres de se débrouiller - ce regard rivé sur les autres, justement, sans explication ni pathos ni effet, est important. Salutaire.

Just the wind.

2. Devant nous le poète

(Découvrant l'invisible) : Devant nous le poète ! Arhh ! Arrrh
Ouste, fiche
le camp, dégage, vermine, infamie.
(se calmant un peu) Femme aux souliers vernis
Féminine, humanisée
(soulagé)
Oh, c'était toi, mon ombre ? Je ne t'avais pas
reconnue, connasse.
Que dis-tu ? Que j'exulte
Que j'exsude la peur la haine la crainte la crasse ?
Merci, merci ma belle, mon beau, moi aussi je t'aime
Moi aussi
Et maintenant dégage avant que je t'enferme
Et t'extermine
Je t'interdis m'entends-tu ?
De m'être extérieure
Ronge-moi de dedans, je t'en supplie mon ombre
Rends putride mon souffle odieuse ma voix
Rends-moi mort et sec et stérile
Parcheminé, rends-moi
la mort que la vie me vole rends-moi
la haine qui me rend si fort.

(le poète, pleurant :)
Attends que je respire,
attends que je silence,
attends que je retrouve
la force de t'aimer.

(il redevient invisible).

Da capo.

3. Et sinon

Sinon, hier, un statut en forme de point godwin m'a poussé à me dire que, décidément, FB et autres filets sociaux pouvaient se passer de moi un (long) moment.
Le blog est mort, vive le blog ?


12.6.13

1044 - A hauteur d'yeux

1. Le roux est une couleur froide

Parce qu'à n'aller au cinéma que porté par le courant (à savoir hier l'enregistrement de Pas plus haut que le bord à l'Utopia Tournefeuille) et sans envie précise (ou disons, sans focaliser dessus, vu qu'il était trop tard après le repas), on tombe parfois sur de petites perles, comme celle ci-contre.

Oh, d'accord, la critique l'a boudé. Froid ? Maniériste ? Je ne sais pas. Plus d'une fois, j'ai été scotché par la lumière, la composition, les couleurs - un vrai film de peintre ; plus d'une fois, j'ai apprécié la volonté de laisser au spectateur l'espace de deviner les liens et les motivations des personnages, de ne pas les juger. Quant à la reconstitution des années soixante, je l'ai trouvée séduisante par son économie de moyens - et par là-même allant au-delà du simple film historique. Pour finir, l'histoire de cette adolescente rousse qui redoute la fin du monde alors que c'est son monde à elle qui explose m'a touché par son actualité.

Elle renvoie évidemment au succès de la Vie d'Adèle, primé à Cannes. Que j'irai voir, peut-être, ou dont j'attendrai qu'il flotte jusqu'à moi - comme a flotté il y a quelques mois Le bleu est une couleur chaude, (tiens, je te mets un lien vers un site moins affreusement commercial qu'Atazon ou la Fnuc) BD dont le film est tiré. Tu sais quoi ? Je l'avais tant aimé, cet album, avec ses graphismes rêveurs et précis, avec ce romantisme désenchanté qui me rappelait mon adorée Fanny Chiarello, que je doute quand même un peu d'apprécier autant le film.

Nous verrons (c'est une belle promesse, pour des cinéphiles, non ?)

2. En parlant de fin du monde

Aujourd'hui, la Grèce sans télévision publique. Et les commentaires sur les journaux en ligne ? "Ah bin si seulement on pouvait nous enlever Plus belle la vie / Patrick Sébastien / Sophie Aram" (suivant la tendance politique, évidemment).

Tout ça sans souligner la disparition des orchestres, des centres du livre, et de pas mal d'autres de ces institutions "culturelles" sur lesquelles crachent parfois mes potes de gauche. Pour ma part, tu me permettras de m'inquiéter un tantinet. Alors oui, nous avons hérité l'ORTF et les chaînes publiques de Mongénéral, qui n'était peut-être pas le plus grand des démocrates ; néanmoins, me dire que l'information tombe soudain dans le domaine privé, au même titre que les retransmissions sportives ou les shows à paillettes - sanctionnée, donc, par les pouces rouges ou verts et les courbes d'audience - me paraît un joli pas dans la mauvaise direction.

Je te dis ça et pourtant, c'est à peine si je sors voir des spectacles, tandis que cent fois par jour comme un con je clique sur ma page facebook afin de m'assurer que je ne rate rien de ce qui arrive - quelle que soit la réalité recouverte par ce terme imprécis.

J'écris en ce moment une longue nouvelle d'anticipation (c'est joli, comme terme). Et souffre donc du complexe de Cassandre - si ce que je dis se réalise, dois-je le taire pour l'éviter ?

3. Et sinon, les choses que j'attends

L'Europe, bordel. Oh, et l'été. Pas dehors - ça commence à s'arranger - mais à l'intérieur.
Et cesser de me répéter qu'il est déjà trop tard.

4. Egalement, et que je suis couillon

J'ai oublié de te signaler que l'ami Pomès joue dans la cour des grands, avec ce nouvel album dont il est le dessinateur, et qu'il me tarde de découvrir ailleurs qu'à la télé. Allez, tiens, image pour la peine, hop
et puis tiens, tant qu'on en est à puber, tu peux encore voir samedi 15 au Poche, dans le cadre du festival Arc-en-ciel, Tonton Maurice qui n'en finit pas de. Re-photo, dis donc, c'est vraiment la fête aujourd'hui, à part pour la mise en page qui. Pff. 


6.6.13

1043 - A l'époque où j'écrivais tard...

1. Je racontais des choses sans suite

Marisol Touraine, outre le fait que tu portes le prénom d'une magicienne traîtresse dans le bouquin que je traduis, sais-tu bien ce que tu fais, malheureuse ? Voilà que tu m'interdis à tout le monde de vapoter. Et l'interdiction, et les lieux publics, et les mineurs... Du coup, tu sais quoi ? Je me ressens tenté d'en griller une.
Non, parce que fumer de l'eau, ça ne me dit rien ; j'ai essayé le narguilé, j'aimais bien à part l'odeur de loukoum. Je me suis débarrassé du geste, de la nicotine, de tout. Je suis ravi que mes potes puissent rester avec moi dans les bars tout en tirant sur leur sucette.
Et voilà que tu arrives avec tes bonnes intentions. Mais dis-moi, ma bonne, c'est quoi la logique ? Aaaalors, le vilain fumeur est dépendant de la nicotine - produit somme toute relativement inoffensif ; du coup, on lui propose sa fixette autrement qu'avec des TAR - des Total Aerosol Residues, honteusement traduit par "goudrons" en français, mais qui n'ont rien à voir avec le macadam de nos routes ; il s'agit simplement de toutes les petites saloperies qui se mettent dans la fumée, les résidus de pesticides sur les plantes, de teinture sur les papiers, etc.
On lui enlève ça au fumeur, et du coup il vapote. Je ne dis pas que ce soit parfaitement inoffensif, ni que ça suffise à arrêter de fumer, ni même que ça remplace ; simplement, ça paraissait une bonne solution. Et toi tu interdis, comme si c'était néfaste, dangereux. Illégal. Tu recrées une interdiction là où l'usage, en plus de la logique, considérait que finalement, c'était pas mal, ce machin.
Je suis déçu, Marisol. Tu avais l'occasion, sinon la chance, d'arriver à un moment crucial : celui ou l'addiction à la nicotine pouvait être séparée de l'addiction à la cigarette ; celui où l'on pouvait décider que la nicotine était tolérable, le tabac beaucoup moins. Celui où on pouvait proposer, tant qu'à y être, d'éradiquer la plante - pourquoi pas ? Ce serait un peu logique, au moins. Un bon pesticide sélectif, l'interdiction des plants ou leur manipulation génétique - tu laisses faire ça pour le blé et le maïs et les semences bio, alors pourquoi pas pour une solanacée à peine ornementale ?
Tu pouvais poser la question de ce que la loi interdisait, de la schizophrénie de l'état qui contrôle des drogues puissantes - tabac et alcool - et continue à proscrire d'autres drogues aux effets ni plus ni moins ravageurs. Tu parles de santé publique ? Mais Marisol, qu'est-ce qui est sain ? Ne pas fumer ? Ne pas vapoter ? Ne pas respirer l'air auprès des usines pétrochimiques ? Les particules de gasoil dans l'atmosphère ? Où finit la santé publique, où commence le lobbying ?
Alors donc, ma Marisol, en tant qu'ancien fumeur, même pas vapoteur et encore de gauche, j'avais envie de te dire : ça me paraît très con. Tu pouvais poser le problème sur la table, dire que c'est tout de même un peu con de balancer des sous d'un côté pour les ramasser de l'autre et réciproquement ; te demander s'il valait mieux développer ces clopes électroniques, comment et pourquoi ; au lieu de ça, tu optes pour la méthode de la prohibition.
Au fond, je m'en tape - ça ne me concerne plus vraiment, je ne fume que des choses hors marché, et encore, quand la lune est pleine. Mais j'avais envie de te dire, Marisol : je pourrais te pardonner de te planter politiquement. Beaucoup plus difficilement d'être lâche.

2. ... je faisais long au lieu de faire court

Nan mais c'est vrai quoi à la fin. C'est à peine si je peux encore lire plus de 140 signes, si je peux apprécier un spectacle ou un film ou un article autrement qu'en appuyant sur le bouton "like". C'est à peine si je peux passer une heure sans vérifier mon mail ou la dernière info qui vient de tomber. Des blogs ? Je n'en lis plus, alors pourquoi en écrire ?
Et pendant ce temps, les commentaires se déploient sur la toile ; chaque événement, même microscopique, devient l'occasion de développer les harmoniques de nos phobies habituelles. Fachos d'un côté, arabes de l'autre, sionistes si ça vous fait plaisir : tout devient complot, tout devient signe que notre vision du monde est la bonne.
Ca me fatigue, cette histoire. Ce couillon de monde se passe de notre avis/vie depuis des milliards d'. Il était là avant que nos cervelles étroites inventent le temps. Respirons un bon coup et regardons ce qu'il nous raconte - oreilles et coeur ouverts.

3. J'avais des priorités

Il me fallait découvrir ce qu'était l'amour - le pur, le vrai, l'indicible. Bon, bin quoi ? Depuis, j'écris plutôt le matin. En milieu d'après-midi, peut-être. Pas le soir. Le soir est propice à des confidences que l'on regrette le lendemain.
Tiens, si je te disais qu'en ce moment j'étouffe un peu ? Oh, je te rassure, tout va bien, la vie les gosses l'écriture la santé l'argent tout bien tout comme il faut merci mon Machin et tout ce genre de choses ; et pourtant je me sens comme un pur-sang dans son paddock (ou un poney Mérens dans sa cahute, faudrait pas non plus que je me laisse enfler les pâturons).
Est-ce l'écho du monde qui trouble ma sérénité, ou ma sérénité qui résiste mal au monde (si tant est que j'en aie possédé une, de sérénité, à un moment ou un autre) ?
On s'en tape. Je geins, je le sens bien. Et ça m'agace. Et je m'en plains.

4. Je ne me mettais pas en colère

Je me mettais juste hors de moi.

5. Tout ça pour dire quoi ?

Oh, rien du tout vraiment. Que tu me manques. Que je crois encore en toi, en nous, en la littérature. En la surprise que nous font les mots, parfois. Qu'avec ce printemps tardif, quelque chose arrive. Je ne sais pas quoi, mais je l'attends de pied ferme.

Le changement - c'était quand, déjà ?

6. J'avais des pensées pour d'autres que moi-même

Et je pense à P. ; je pense à C.
Je pense à mes morts ; je pense à mes vifs.
Je pense à elle, à ce que je lis comme sa tristesse, sa folie, à l'absence qu'elle m'oppose, de plus en plus chaque jour.
Je me demande de quel côté elle se trouve, maintenant.


 

3.6.13

1042 - P. et le mystère de la grande faucheuse

1. Elle n'est plus

Il est de ces jours où tu te sens absent (ou trop présent, peut-être, quasi-forcé et mécanique). C'était le cas hier - peu de rencontres, peu de lecteurs, peu de courage pour changer les habitudes. 
Et puis elle n'était pas là. C'est bête comme ces amis auxquels tu ne penses pas tous les jours, mais que tu as toujours plaisir à retrouver - tiens, samedi à la fête il y aura untel et tu te dis chouette, ça fait longtemps que - te rappelle soudain qu'ils sont, comme toi, mortels.
Tu savais qu'elle était malade, mais tu ne savais pas comment. Et puis les mots t'arrivent en rafale - très. Trop. Elle n'est plus.
Toi, tu regardes le jour de pluie et tu penses que ce n'est juste pas possible, pas concevable ; que tu lui as dit, la dernière fois, au revoir, à bientôt. Tout cela est absurde : les amis jeunes ne meurent pas. Les auteurs encore moins - surtout ceux dont tu aimes les livres, dont tu te dis, oh, le prochain sera encore mieux, j'ai hâte.
Tu te sens l'envie d'un discours, d'un hommage. Et quoi ? Qui étais-tu pour parler d'elle ? Qu'est-ce que cela changera pour elle - et tu as beau penser ses amis sa famille, au fond, c'est un peu pour toi, cette petite voix qui dit 

elle était belle intelligente et talentueuse, avec quelque chose d'opiniâtre et drôle et profond, 
sa vie décidément a été trop courte - 
elle nous manque, et le monde sans elle est un peu moins grand.

2. Un roman à lire

Ses amies les filles du noir envisagent d'offrir un de ses livres à quelqu'un qu'elles aiment, en hommage véritable à leur soeur en polar ; si le coeur t'en dit...