8.8.13

1051 - Fiches de lecture

1. Une fois n'est pas

Et donc, au lieu de te raconter mes vacances, je vais te raconter mes lectures. Parce que bon, aussi bien, tu te demandes quels livres emporter - ou ne pas emporter. Et qu'en plus, je te l'avoue : quand je lis (en vacances, donc), j'ai comme une voix qui me dit "et là, tu pourrais en conclure ça." Je sais, ça fait terriblement ex-prof de Français, ou crétin incapable de se laisser aller au simple plaisir de la lecture. Mais après tout, hein, il serait temps d'assumer.

2. Histoire de liseuse

Kobo, donc. Notre fidèle compagne des vacances. Plusieurs centaines de livres pour quelques dizaines de grammes, c'est imbattable dans un sac à dos. Et sur la plage (non, le vent ne rabat plus les feuilles !). Quelques hics toutefois - au cas où ça intéresserait les concepteurs du truc de l'améliorer, ou bien quelques éditeurs qui. Donc, ce qui m'a énervé :

        - les pages qui collent ;
oui, l'édition numérique a réinventé les pages reliées - mais pas le coupe-papier qui va avec. De temps à autres, donc, sur certains livres, tu appuies pour tourner, il ne se passe rien, alors hop tu réappuies - et pof, ça te tourne deux pages. Les premières fois, tu te dis que tu as fait une erreur digitale de doigt, mais non : ça ne tourne pas, puis ça tourne trop. Pas grave, mais agaçant.

         - les notes de bas de page ;
suivant l'epub, les renvois fonctionnent ou ne fonctionnent pas. Trèèèès agaçant de lire "1. n'a pas d'entrée dans le dictionnaire" quand l'engin croit que tu recherches une définition, et que tu ne trouves nulle part à quoi renvoie ce foutu 1.

        - les chargements ;
je sais, je suis un peu con-con, et heureusement j'avais trouvé le site de la Maison du Livre, mais ça reste problématique pour moi ce principe de "connecte-toi à ton ordinateur pour acheter un livre pour ta liseuse qui te sera envoyé par mail pour que tu le passes dans un logiciel de gestion pour l'envoyer dans ta liseuse". D'accord, la Kobo permet d'acheter directement en ligne, sur un site appelé Kobo (comme le logiciel de gestion, d'ailleurs, sans doute histoire de simplifier) ; mais, à part les téléchargements gratuits (et un peu forcés, nous y reviendrons), celui-ci n'a souvent que des titres très, euh... populaires - nan, merdiques - à te proposer. Bref, il faut faire provision de bouquins avant de partir, surtout quand comme moi on aime à se passer de wifi et de connections pendant ses vacances. C'est là qu'on en arrive aux...

         - DRM ;
je n'avais jusque-là sur la question que les avis partagés de mes éditeurs ; à présent, c'est en tant que lecteur que je clame aux chiottes les DRM ! (oui, je sais, je suis revenu grossier de mes vacances, mais tu me le pardonneras, je vais faire de mon mieux pour). Le système de "protection" (signé Adobe, si j'ai tout bien compris) des bouquins pour éviter qu'on les télécharge illégalement m'a permis ce miracle : les six bouquins de théâtre que j'avais achetés (chez Acte Sud, l'Arche n'ayant pas encore exploité ce terrain malgré l'intérêt de leur catalogue), sans compter quelques autres empruntés à, étaient tout simplement illisibles. Et pas la peine de tenter de faire passer la pilule avec un "ooups désolé, allez voir sur notre site" : il m'aurait fallu un ordinateur, un mot de passe et tout le merdier. Exactement ce que je ne veux pas quand je prends ma liseuse. Bref, les DRM, comme les piteuses tentatives de l'industrie du disque pour protéger les données contre le piratage, m'a surtout donné envie de ne plus jamais acheter chez les éditeurs qui l'utilisent. Compliqué, obscur, pas au point - et franchement, ne pas pouvoir prêter un livre est presque aussi grave que ne pas pouvoir l'ouvrir.

3. Un doute pointe en moi

T'as vu comme je fais long et pédagogique, aujourd'hui ? Ca doit être toute cette angoisse d'être en vacances, sans travail à faire, sans tâche à effectuer. En plus, ce n'est pas fini - maintenant, je vais te parler des livres.
Parce que si je commence à te parler du processus de pensée et de classification des oeuvres qui m'a tourné dans le ciboulot pendant que, on en a pour des.
Tu crois qu'écrire, c'est une maladie ?

4. Les livres, donc

Les petits grands : Un parfum d'herbe coupée, Nicolas Delesalle. Trentenaire ou un peu plus, souvenirs de vacances, de chiens et de voitures paternelles - un petit bijou de précise nostalgie, où l'auteur nous rappelle - je cite de mémoire, c'est-à-dire de travers - qu'elle appartient le dimanche dans la nuit aux pères qui conduisent sur l'autoroute, la famille endormie. C'est à lire comme une caresse amicale, un petit air qui s'accroche dans la tête. Fonce.
J'ai l'amour, de Mathilde Roux. A priori, seulement sur liseuse ; un petit texte qu'on voudrait dire, et surtout dire à quelqu'un ; tour à tour aguicheuse, rêveuse, pêchue, rieuse, une langue qui s'élance et volette - léger et culotté. A suivre.

Là, c'est la petite édition - voire la petite édition numérique - qui propose des textes novateurs, qu'on ne trouvera pas chez les "gros" ; mais au-delà du léger/moderne, une place toute particulière à L'usine, de Philippe Napoletano, chez DNSB-que-j'aime et qui se lance dans le roman. Un roman, donc, que je qualifierai d'hégélien si j'y connaissais quelque chose ; qui commence comme du Zola, avance comme du Kafka, et se termine dans un souffle haletant. Là, on est dans le grand roman. Lis.

Ici, je t'épargne mes réflexions super-profondes sur la petite édition, le fait que "L'usine" soit aussi le titre dans mes souvenirs d'un roman de François Bon qui publie Roux et traduit (pas très bien, malheureusement) Berit Elligsen et sa Ville vide - j'ai moins aimé une nouvelle intitulée "Dans le blanc", qui m'a fait décrocher très vite. Là, pour être franc : c'est agréable à lire, "moderne" quel que soit le sens que tu donnes au mot et original. Le seul truc, c'est que je l'ai lu il y a maintenant deux semaines, et qu'il ne m'a laissé quasiment aucune trace dans la tête. Mais tu peux essayer, si ça te dit. En tout cas, une chose est sûre : les petits éditeurs travaillent, et bien. Sans compter que la plupart de ces bouquins n'existant que sous format numérique, ils sont à un prix défiant toute. Bref, faire son marché de "jeunes auteurs" est délicieux, et je recommencerai.

5. Du côté des gros

Je te la fais rapide : j'ai adoré A man of parts de David Lodge. S'installer dans le genre biographique pour faire un roman plein de souffle, d'intelligence et de profondeur, est un tour de force. La vie d'HG Wells devient une réflexion sur la création littéraire, mais aussi sur l'amour, la fidélité, et le rapport à la politique. Tu imagines si j'ai. A l'occasion, donne-moi des nouvelles de la traduction française, qui a dû paraître il y a un moment déjà.
En tant que traducteur, je me suis rendu compte que chez les "gros" éditeurs de genre, certains optaient délibérément pour des traductions dégueulasses, d'autres pour une certaine exigence de qualité. Ca m'a surpris, mais (attention codage pour ne pas fâcher de potentiels employeurs) que le fils du mousquetaire parle comme une vache folle, tandis que l'archétype de théâtre propose des textes en français.
Au-delà, j'ai trouvé L'attente de l'aube deWillliam Boyd mal ficelé, insipide et peu crédible - j'ai même longtemps cru qu'il y allait avoir un retournement final, mais en vain. Dire que j'avais tant aimé ses Nouvelles Confessions, il y a... ouh putain, un bout de.
Et tant qu'à parler espionnage/thriller, ma liseuse m'a fait cadeau d'un San Antonio. C'est là - en riant comme un couillon pendant la lecture - que je me suis rendu compte à quel point les romans et le style de Frédéric Dard m'ont inspiré, à quel point sa capacité à modifier le cours de la langue fait partie de nous. Si tu ne me crois pas, écoute donc les chroniques de mon copain Lorenzo, et tu comprendras. Bref, comme il le souhaitait et ne le souhaitait pas à la fois, San Antonio est devenu un classique - on en reparle, tu veux bien ?

6. Tranchant

Voilà. Tu es certainement déjà parti en vacances, ou tu as ta propre liste de livres ou tu t'en tapes de savoir ce que je pense de ce que, mais c'est fait, comme je me l'étais promis : un genre d'article critique. A présent : je repars hanter mes vieux pays, en me demandant dans un coin de ma tête comme devenir tranchant - tout ça pour l'art difficile de la comédie, bien évidemment.

7. Photo (que tu peux réaliser et coller en en-tête de cet)

Un type sur une chaise longue, au bord d'une piscine, sur fond de citronniers ; il tient devant lui une liseuse qui protège du soleil une partie de son ventre - son corps, ailleurs qu'à cet endroit aux environs du coeur, est d'un rouge cramoisi.