30.7.09

721 - théâtre


Oh, vous étiez là ? Bonjour. C’est gentil d’être passés.

Et qui vous êtes ?

Mais bien sûr, je vous connais. Je te connais. Tu es le petit de… Tu es parent avec… Tu habites là-bas, à côté de la maison avec la glycine… C’est toi. C’est bien toi.

Daniel, c’est toi ? Oh Daniel, Daniel mon cœur, c’est toi !

Non ce n’est pas toi. Ce n’est pas vous.

Qui vous êtes ?

Et moi qui je suis ? Vous me connaissez, moi. Je suis moi. Je suis… Mais si, bien sûr. Vous vous souvenez. On était ensemble la fois où… Il y avait des papillons. Des papillons jaunes sur une glycine. Non, des papillons bleus. Sur un lilas. C’était mauve. Et bleu, avec les papillons. Vous étiez avec moi. On regardait les papillons.

C’était une maison en pierres blanches, avec la glycine. Ou le seringat. On jouait à… Vous étiez… On jouait ensemble, et puis on s’est arrêtés. Pour regarder les papillons.

Vous vous souvenez comme ils étaient bleus ? Ou jaunes. Il y avait du soleil, et l’herbe était… Vous vous rappelez de ce vert ? C’était l’été. Ou le printemps, peut-être.

Ou le début de l’automne. Les papillons avaient… c’était peut-être une chenille. Une chenille sur un mûrier. Avec des feuilles rouges, et les derniers rayons du soleil qui…

Tu te souviens ? Nous étions ensemble. Nous regardions tous les deux. Tu avais pris ma main. C’était toi Daniel. C’était toi.

Tu ne dis rien. Tu as toujours été calme. Tu as toujours été… Tu me tenais la main. Tu ne disais rien, tu regardais avec moi. Mais ta main me disait… Ta main. Je me souviens de ta main, Daniel, ce jour-là.

Une main d’enfant. Dans ma main de…

Putain.

C’est loin, tout ça.

28.7.09

720- MArdi, je te raconte



Combien de temps se passa-t-il ainsi, Rahoul grimpant vers le rêve du sommet, et Esag le suivant avec au coeur la peur de la chute ?

Nul ne saurait le dire.
L'Arbre, lui, ne changeait pas. Sa ramure était toujours aussi dense, son tronc toujours aussi gigantesque ; rien n'indiquait que la cîme approchât.

Esag tentait de ne pas y penser ; Rahoul ne s'en apercevait même pas - tout comme il ne sentait nulle fatigue, nul doute, nul découragement.

C'est peut-être pour ça qu'il déboucha enfin au faîte de l'Arbre.

Il aurait attendu autre chose.
C'était un poil décevant. En haut de l'Arbre, il y avait... le haut de l'Arbre.

Sauf que ce n'était pas vraiment un haut. Pas un truc tout effilé, secoué par le vent, avec une seule branche, et d'où le regard aurait pu embrasser l'horizon dans son entier. Non, en haut de l'Arbre, il n'y avait que les branches, qui formaient un genre de plateforme ; on aurait dit que l'Arbre, fatigué de pousser, s'était arrêté , tout simplement.

Pour ce qui était de l'horizon, bin, il n'y en avait pas vraiment. Sans doute qu'il y avait du brouillard, ou un bout de nuage accroché au plus hautes branches : en tout cas, autour de lui, Rahoul ne voyait rien.

Il fit quelques pas sur le tapis de branches, s'approcha du bord. Il se pencha même pour savoir s'il pourrait encore apercevoir la clairière, là-bas, tout en bas. Il se pencha un peu, puis un peu plus, puis encore un peu, puis presque beaucoup ; mais il ne voyait rien, vraiment rien, que la ramure de l'arbre qui se perdait dans le gris.

Il se pencha encore un peu -il ne risquait tout de même rien, lui qui était tellement habitué aux arbres...

On entendit un hurlement transpercer le demi-jour.

23.7.09

719 - Un rêve


Vite
Le shoot de nicotine pour
oublier ce rêve


A genoux devant les hommes, près d'eux dans l'ascenseur
La voix du père moqueuse égrillarde
Je remontais
Le regret en bandoulière
Retrouver
La barbarie des femmes
La lèvre fendue
La voie de la balafre

Dans cet HLM tellement typique des années 70
Nues à la peau de bronze
Elles me reprochaient
De les fuir

Et les questions s'enchaînaient
Pour aiguiser la conscience
De mes propres mensonges

Vite le shoot de nicotine
Pour absoudre le rêve
Dans les volutes du cerveau.

Vaudrait mieux pas que j'arrête de fumer.

(Et sinon, je rêve aussi que je retourne dans l'Education madame Nationale, et qu'au bout de 5 minutes je dis au revoir tout le monde... Mon Freud intérieur se marre bien, en ce moment).

22.7.09

718 - L'été de la cigale


Une cigale vient d'emménager dans notre arrière-cour.

Dans cet été de fourmi, c'est un signe, non ?

(E. me rappelle souvent ce dicton de la sagesse orale chinoise : si tu vois un canard blanc sur un lac, c'est un cygne).

Pour un été baguenaudeur et artistique, nous pouvons ce soir aller voir Tonton Maurice (qui est toujours mort) à Samatan (Gers).

Un poil plus au sud, entre Toulouse et Sète (où les vents nous porteront sans doute), Carcassonne ranime la fête de la St Nazaire au pied de la cathédrale. Il y aura des artistes de rue, des lectures, des spectacles, des expositions. Hasard ? Il se pourrait bien que nous y soyons, mardi 28 (entre 12h et 16h, si possible à l'ombre...)

Et je suis sur le qui-vive, attendant l'imminente arrivée d'un nouveau neveu.

21.7.09

717 - MArdi, je te raconte


Rahoul sans cesse grimpait vers le sommet de l'Arbre ; malgré la fatigue, malgré l'inquiétude naissante, il progressait vers le sommet.

Il ne pouvait pas le voir, bien sûr : l'Arbre était trop grand, les branches trop nombreuses. Mais puisqu'il y avait un Arbre, il devait y avoir un sommet.

Non ?

Plus loin, en-dessous, Esag grimpait aussi ; il se maudissait d'avoir passé tant de temps sans chasser sans courir, sans faire d'exercice : il avait mal aux bras, aux jambes et aux pieds. Il se sentait trop vieux, trop maladroit, trop fatigué pour rattraper son fils chéri. Et pourtant, il continuait à escalader - que pouvait-il faire d'autre ?

Tomber aurait peut-être été plus simple. Lâcher prise, une seule fois - glisser le long des branches, s'en remettre à la gravité et oublier une fois pour toutes la peur qui le rongeait à l'idée que Rahoul s'éloigne de lui.

Il se passa des heures, peut-être des jours ; le feuillage de l'arbre était si épais qu'on distinguait mal le jour de la nuit, l'aube de l'obscurité.

Le vent chantait gaiement aux oreilles de Rahoul ; Esag, lui, y entendait un sifflement glacial, la chanson ironique de la fin qui l'attendait. Car Rahoul pensait à la cîme de l'arbre, qui ne cessait de s'approcher ; et Esag pensait à la terre qui s'éloignait - et au risque, toujours, d'une chute...

En bas, dans la clairière, la pléistéchione releva la tête ; elle avait fini de brouter, elle s'ennuyotait un peu. Elle s'approcha du tronc de l'Arbre, et huma l'air autour d'elle.

Puis elle enroula une de ses dix-sept pattes sur une branche basse.

716 - Autre


Qu'attends-tu à l'heure sombre,
Qu'attends-tu
De cette bouche qui se vide
De ce lien qui retient / / étrangle,

Qu'attends-tu de savoir ce par quoi tu existes /
Que tu ne sais rien
Comme chacun le sait ?

Qu'attends-tu confondant
Envie besoin désir - tendre /et/ détresse ,

Qu'attends-tu à l'heure sombre
Au front de ta lumière seule
A la bascule de la nuit ?

Creuse, creuse la peine,
Tu as su, croyais-tu, espérer,

(Et face à la page tu t'acharnes Pour ajour/n/er la nuit).

20.7.09

715 - Questions : voilà que ça me reprend


Mettons, pour faire simple, qu'un prof est un scientifique. Celui qui sait.
Mettons, parce qu'il me semble, qu'un artiste est d'abord celui qui doute (je dis ça à cause d'une discussion récente sur Michel Sardou).

Alors le mélange des deux, c'est quoi ? Un type qui sait qui doute, ou un type qui doute qu'il sait ?

Et peut-on n'apporter à des élèves (on dit "apprenants", dans le jargon) que des questions face aux questions qu'ils ne se posent d'ailleurs peut-être pas ?

Hier, pendant que Gomez et Slip en Lin refaisaient en direct un sketch des Deschiens, je me suis surpris à penser que j'avais lu ledit sketch dans un manuel de Français 4e... Du coup, j'ai arrêté d'écouter.

Peut-on faire prof sans être prof ? Peut-on avoir une vie au-delà d'un métier ?

Vous le voyez, ma réflexion progresse ; j'en suis à me dire que je rachèterais bien une auto, des meubles, peut-être un chien - et quoi d'autre ? Un autocollant MAIF ? Il faudra bien que je justifie ce soudain besoin (ou envie ? ou désir ?) de gagner un honnête salaire...

Pour l'instant, je n'entends que des notes justes (des notes ? prof, encore ?) dans la partition de l'été. We shall see, yes.

19.7.09

714 - Bloguer dur, bloguer mou...



Parfois on blogue parce que le blog est vide depuis trop longtemps (et on se surprend, allez savoir pourquoi, à rimer dans la langue anglaise) ; parfois aussi la nécessité provient d'ailleurs, et des infos qu'on souhaite transmettre.

Aussi, je vous indique ici le blog d'Oh, et en particulier la longue étude-réflexion qu'un universitaire y consacre ; passionnant pour connaître un peu mieux le monsieur, ses états d'âme et ses motivations, mais aussi pour comprendre un peu cette manie (agaçante ou salutaire?) qu'est le weblogging...

De la même façon, j'apprends qu'un blog particulier réclame du contenu : c'est celui des 807, exercice-hommage au génial Eric Chevillard mené de main de maître par Franck Garot - qui attend 10 aphorismes supplémentaires pour terminer le mois d'août, ça vous tente ?

Et Zoé (à qui je ne réponds jamais, paraît-il, mais c'est juste parce que je ne sais jamais quoi répondre, c'est mon côté rustre pataud) nous donne comme à son habitude des nouvelles de la blogatmosphère : de quoi patienter encore pour ceux qui ne sont pas en vacances, ou aiment les blogs même l'été...


Et sinon, j'écris tout raide à cause que j'ai passé l'aprème à taffer, c'est quand même pas un métier écrivain, si ça continue je fais prof, moi...

713 - Par un beau dimanche


It is not, as they say, that you need to write down
The feelings and the grief, the colours and the fears,
In order, as they say, to survive,

Or at least leave a scar in the heart of a day ;

It is not, as they say, that you dread the foreplays
Of living, that you think are filling up your life ;
It is only your dreams, and the way, as they say,
You've never woken up certain you were alive.

15.7.09

712 - MArdi, je te raconte*...


Rahoul grimpait, grimpait, et grimpait encore ; les branches épaisses formaient comme une échelle qui s'effaçait sous ses pieds.

Là-bas, tout en bas de l'Arbre, Esag arriva hors d'haleine. Il appela encore - sa voix s'était faite pressante, mais les branches l'étouffaient.

Peut-être que Rahoul ne pouvait plus l'entendre. Ou peut-être qu'il ne le voulait plus.

Car la voix d'un père qui rappelle, qui ordonne, qui interdit était la dernière chose qu'il avait envie d'écouter.

L'écorce de l'arbre mordillait la peau de ses mains, les branches au passage lui fouettaient le visage ; mais Rahoul se sentait plus libre, plus vivant que jamais. Il respirait l'air de l'Arbre, la caresse des vents, l'odeur de l'altitude.

Il y eut peut-être des larmes sur le visage d'Esag pendant qu'il pensait à son fils et aux mots qui ne passaient plus entre eux. C'est d'ailleurs ce jour-là qu'Esag inventa la culpabilité paternelle*.

Il imaginait déjà la chute de Rahoul, le fracas de son petit corps à travers les branches et sur le sol - ou, au contraire, la décision de son fils de rester dans l'Arbre, d'être avalé par lui, de disparaître à jamais.

Derrière Esag, la pléïstéchione déboucha à son tour dans la clairière au pied de l'Arbre.
Voyant qu'il ne se passait rien de très marrant, elle se mit à brouter.

Un rayon de soleil soudain entre les feuilles vint se poser sur le front du papa de Rahoul ; et, comme tous les hommes avant lui, il y trouva du courage - celui d'imaginer une plus belle issue.

Et Esag - Esag qui avait le vertige, Esag qui au fond n'aimait pas bien les arbres, empoigna la première branche et se mit à grimper à son tour.

Dans la clairière, la pléïstéchione continuait à brouter.










* et * : oui, je sais, mardi a tellement duré qu'il en est devenu mercredi. Peut-être pour cause de Fête Nationale ou de vraies vacances du calendrier, allez savoir. Ou encore pour être resté un peu longtemps avec mon non-lecteur préféré devant les histoires de Tolkien , ou d'avoir beaucoup raconté hier, ou beaucoup pensé à E. ce soir, ou, ou, ou - hou la honte, quoi qu'il en soit... Promis, je ne le referai plus.

10.7.09

711 - En direct du matin


Combien de temps encore
Dans l'épais de nous-mêmes
Nous faudra-t-il attendre
Le mouvant, le léger

A chaque coup de pioche,

A chaque arrachement
De la gangue, de la bogue
A chaque charge soulevée

Essuyer la sueur d'une main qui ne peut plus sourire
D'un bras qui ne peut que forcer, tremblant
De rêver de caresse

Combien de temps encore
A espérer le vent
Coulant sur notre nuque
Pour effacer la peur

Et la colère
Savamment assemblées ?

8.7.09

710 - Manu Causse contre les fournisseurs d'accès


Toulouse, le 8 juillet 2009

Madame Free, Monsieur F...,


C’est toujours difficile de se séparer, personne ne le conteste. Les rancoeurs, les coups bas, les vieilles histoires qui remontent, tout ça est un cliché. Sans parler de l’argent, bien sûr.


Pourtant, vous et moi étions si heureux ensemble.


J’ai été votre fidèle abonné pendant quoi, 5 ans ? Je vous ai loué un modem, et vous m’avez fourni du réseau, des chaînes télévisées, bref, une ouverture sur le monde…


En septembre dernier, j’ai déménagé pour aller vivre avec quelqu’un d’autre. Une femme. Elle était abonnée à Free, comme moi ; c’est ce que je lui avais conseillé, quand elle avait pris son propre abonnement. Puis nous avons décidé de vivre ensemble.


Et c’est là que les ennuis ont commencé. Nous aurions aimé conserver chez vous un abonnement, et peut-être même ce superbe modem HD dont elle disposait ; mais au téléphone, vos techniciens se sont montrés inflexibles : il fallait résilier, renvoyer, réinscrire, recommencer. Le tout en faisant ouvrir une ligne F.. Télécom, votre grande rivale.


Nous étions faibles, démunis, face à tous les changements et dépenses qu’occasionnait notre emménagement. Nous étions faibles, et nous avons cédé à l’appel des sirènes de la concurrence – qui nous remboursait ceci, nous faisait cadeau de cela… tandis qu’au téléphone, vos conseillers encore nous faisaient la leçon, la voix pleine de mépris.

La mort dans l’âme, nous avons tous deux résilié notre abonnement F... – exactement comme le demandait votre site, en deux temps : LRAR de résiliation, colis AR pour les modems.


Et nous avons attendu.


Je ne vous cacherai pas que nos nouveaux fournisseurs, Monsieur et Madame O..., ont été loin de tenir leurs promesses, et que plus d’une fois nous vous avons regretté. Aussi, quand j’ai reçu la confirmation de ma résiliation, j’ai écrasé une larme, et je me suis débarrassé des papiers qui me rappelaient notre engagement passé – je suis parfois faible, vous dis-je, aussi je préférais ne garder aucune trace de nous.


Et le temps est passé.


La semaine dernière, en jetant un coup d’œil à mes comptes bancaires, je me suis rendu compte que vous ne m’aviez pas oublié. Vous avez prélevé 190 €, avec comme ligne d’excuse le mot « modem ».


190 euros. Huit mois après notre séparation.


J’ai fouillé dans mes documents, mais j’ai dû me rendre à l’évidence : vous n’avez jamais renvoyé l’accusé de réception de mon modem. Et, pour mon malheur, je n’ai pas conservé la preuve de dépôt. Que voulez-vous, je vous faisais encore confiance…

Bien sûr, j’ai envisagé la possibilité que vous n’ayez pas reçu ledit modem – j’avais fait le colis moi-même, avec amour. Mais alors, pourquoi n’ai-je reçu aucune demande d’explication, aucune mise en garde, aucune injonction à payer ? Plus encore, la femme avec qui je partage désormais un abonnement Internet s’est rendu compte qu’elle était dans le même cas : aucun accusé de réception, aucune trace de son colis ! Et sur les forums d’Internet, le nombre de plaintes s’élevant contre ce genre de pratiques est loin d’être négligeable ; notre bureau de poste, lui aussi, nous a confié qu’il n’en était pas à son premier cas.


En d’autres termes, malgré tout ce qui nous a unis, Madame ou Monsieur F..., j’ai la nette impression que vous avez décidé de ne pas être totalement honnête dans cette transaction. Je pense à mon colis, abandonné dans une boîte postale à Longjumeau (Longjumeau ! Le pauvre !) – une boîte postale dont vous n’allez jamais relever les compteurs, que vous laissez à elle-même, remplie à ras bord de modems usagés.

Je pense à ces conditions drastiques que vous imposez à ceux qui vous quittent – de votre côté, vous avez la liberté de ne pas répondre aux LRAR, et celle de prélever sans avertissement des comptes bancaires ; du nôtre, nous n’avons que quinze jours pour contester, nous devons apporter des preuves de tout ce que nous avons fait ou dit ou pensé…


Et je dois avouer, Madame ou Monsieur F..., que je suis en colère. Que j’ai dans la tête des actes, sinon de violence, du moins de vengeance.


Inonder Internet de messages dénonçant votre comportement ; porter plainte auprès du médiateur de la République et autres instances concernées (ou non), signaler mon cas à la Poste, dont en refusant de signer les LRAR vous dévoyez la mission, aux associations de consommateurs… voilà à quoi je rêve, parfois, le soir. Pas pour moi, bien entendu – vous pourrez toujours m’opposer que je n’ai pas conservé (au bout de huit mois) ma preuve de dépôt, et que c’est bien fait pour ma pomme – mais pour d’autres qui seraient tentés de céder à vos publicités malines. Et pour vérifier la légalité de vos pratiques de prélèvement sauvage, de non-réception systématique des LRAR, etc.


Pourtant je rêve qu’il reste entre nous une petite étincelle, un courant encore, un reste de réseau, qui vous ferait dire « ah pardon, on a retrouvé votre envoi, on a fait une erreur, on s’excuse et on vous rembourse, n’en parlons plus, la prochaine fois que vous changez d’opérateur repensez à nous et n’hésitez pas à nous conseiller à vos amis ». Ce serait bien. Ce serait commercial. Ce serait – pardon si le terme vous choque - humain. On se quitterait en bons termes, peut-être, allez savoir, pour mieux se retrouver.


Dans le cas contraire, conservez mes 190 euros, et dites-vous que vous les avez gagnés légalement, efficacement et sans encombre. Dites-vous que vous les méritez. Et emportez-les avec vous là où vous irez de ma part.



Bien à vous

7.7.09

709 - MArdi, je te raconte


Lorsque Rahoul arriva au pied de l'Arbre, la nuit s'était faite moins obscure ; un trait de lumière mauve, là-bas sur les collines, annonçait le réveil du jour.

De près, l'Arbre était encore plus imposant ; quand on levait la tête, on voyait ses branches qui se perdaient dans le ciel. Rahoul entreprit de faire le tour du tronc, à la recherche de cette faille dont son père Esag lui avait parlé. Il avançait pas à pas, la main suivant les contours de l'Arbre. Avec ses doigts, il suivait les lignes de l'écorce, inspectant et fouillant dans la semi-obscurité ; et celle-ci devint peu à peu une semi-clarté, puis une clarté indistincte, puis une clarté brouillonne, puis une clarté un peu claire, et ainsi de suite jusqu'à ce que Rahoul se retrouve à son point de départ, limite en plein jour.

C'est ce jour là que Rahoul inventa l'équation mathématique, sous la forme :

1/2 O + 1/2 C + 1 Ci + 1 Cb + à peu près C + C + encore un peu = (dinosaurement* de temps) x (le nombre de pas) = un sacré Arbre, ma foi.

(* Rahoul n'avait pas encore inventé les vaches).

Il s'aperçut également qu'à part constater ce qu'il savait déjà, cette équation ne lui servait pas à grand-chose.

Rahoul leva à nouveau la tête vers le sommet de l'Arbre ; même les rayons naissants du soleil ne parvenaient pas à percer l'immensité des branches élevées.

L'Arbre était plus grand qu'une montagne. Plus grand qu'une grande montagne. Plus grand qu'une grande grande montagne. Plus grand qu'un comparatif - d'ailleurs, Rahoul inventa le superlatif pour essayer de qualifier le Plus Grand Arbre.

Ce qui ne lui servit pas à grand-chose non plus.

Alors, il posa son bâton au sol et entreprit de grimper à l'arbre.

Le vent, qui s'était levé, l'empêcha d'entendre les cris de son père dans la forêt.

3.7.09

708 - Comme d'hab


Tu pédalais comme un hollandais, au rythme tranquille d'une marche plate. Un, deux, pas d'horaire à respecter, tout le temps du monde pour toi. La piste cyclable, au bord du canal, était (déjà tu ne trouves plus le mot, tu hésites sur ta métaphore, tu cherches ta figure de style et pourtant tu te sentais bien).

Un pêcheur ne regardait que son bouchon sur l'eau verte. Tu aurais aimé t'arrêter.

Le collège était coquet, un genre de petit immeuble calé entre les villas. Tu as sonné, attendu un peu devant la porte grillagée ; une voix est sortie de l'interphone, tu as donné ton nom, dis que tu avais rendez-vous. Il y a eu un déclic, et tu as poussé le portail.

Tu es entré dans la cour. Un jeune homme sympathique t'a indiqué où garer ton vélo. Les bâtiments étaient sans grande grâce, mais une fois à l'intérieur, tu as vu des espaces relativement vastes et très propres.

Une jeune fille souriante t'a indiqué le bureau que tu cherchais. Tu as pris un large escalier, qui donnait sur un couloir bien éclairé. Les murs étaient peints en bleu, il y avait encore des décorations d'enfants accrochées sur les portes. Tu as remarqué qu'une série de vitres avaient été peintes au pochoir, dans des motifs qui rappelaient la peinture abstraite.

On t'a demandé d'attendre. Tu es resté debout un moment dans le couloir. Tu ne savais pas très bien ce que tu faisais là, à regarder les affiches sponsorisées par le Conseil Régional, qui représentaient Conques, le Canal du Midi ou le Lot. Sur une porte ouverte, un pannonceau signalait Salle des profs. Des voix en sortaient.

- Oui, parce que se reconvertir à 30 ans, c'est pas facile, et...
- Tu sais, ces mecs, ils...

Tu t'es assis, finalement, sur un des deux fauteuils fatigués qui garnissaient le couloir. Tu as sorti un carnet et tu as commencé à écrire. Tu as écrit que tu ne savais pas ce que tu faisais ici. Que cette impression ne te quittait guère, en général, mais qu'à ce moment précis, dans cet ici-là, elle était plus forte que jamais.

Tu as à peine eu le temps de noter deux ou trois phrases : une dame corpulente est sortie d'un bureau. Elle t'a tendu une fiche, te demandant de la remplir. Tu pouvais aller la remplir en salle des profs.

Nom-prénom-date-de-naissance, mariédivorcéconjoint, nom du conjoint profession du conjoint, plus quelques autres détails dont tu te demandais à quoi ils pouvaient servir.

Dans la case "profession du conjoint", tu as mis écrivain, et tu t'es senti à la fois fier et vaguement jaloux.

La salle des profs donnait sur quelques pins parasols. Il y avait une photocopieuse, un distributeur à café ; au mur, des panneaux en liège où des feuilles et des affiches étaient punaisées les unes par-dessus les autres, dans un désordre évident.

Quelqu'un t'a salué - un brun au visage sympathique, qui s'est présenté comme prof d'histoire-géo. Tu lui as demandé quelques renseignements sur le collège, et, pendant que tu remplissais ta feuille, il t'a décrit en détails le quartier, les élèves et l'établissement.

Tu as avoué que tu n'avais plus enseigné depuis quatre ans. Tu n'es pas allé plus loin, et la conversation s'est arrêtée.

Sur la table qui occupait le centre de la salle des profs, il y avait un étui de guitare électrique.

Quand tu as eu fini de remplir la fiche de renseignement, tu t'es levé. Ton sac sur le dos, ton chapeau à la main, tu as entrepris de lire quelques-unes des affiches sur les panneaux en liège.

Objet : classe de 3e "découverte professionnelle". Objet : cas de grippe porcine à Toulouse. Objet : Projet culturel musique.

Ton attention s'est arrêtée un instant sur cette photocopie. Elle disait que le projet était accepté, et que le rectorat et la DRAC étaient tous deux d'accords pour verser une subvention de __ 0__euros.

Puis on est venu te chercher ; tu as reconnu la voix de la principale, à la fois chaleureuse et légèrement moqueuse.

Il est où, le nouveau collègue ?

Tu étais là - tu en étais presque certain.

Dans le bureau, la principale t'a expliqué que ton affectation n'était pas encore officielle. Un instant, tu as espéré une erreur.

Les fenêtres donnaient sur une rue tranquille, et tu laissais ton regard courir sur les murs et le mobilier pendant qu'elle vérifiait une dernière fois ses informations.

Ah mais si, vous voilà. Monsieur P, ici. C'est ça. Bienvenue dans l'établissement.

Tu as dit merci, spontanément.

Vous avez parlé quelque temps ensemble ; elle avait déjà préparé ton emploi du temps, tes classes - elle avait visiblement dû apporter quelques modifications à ses prévisions pour te proposer un service complet.

Comme tu te sentais un peu plus en confiance, tu lui as avoué que tu n'avais plus enseigné depuis quatre ans, et qu'il y avait sans doute certains aspects que tu avais oubliés.

Elle t'a regardé par-dessus ses lunettes avec un sourire gentiment narquois, et elle a lancé :
Ca va très vite vous revenir, vous allez voir. Fini la rêverie bucolique !

Et tu as souri, un peu.

Elle t'a demandé comment tu souhaitais arranger ta semaine ; tu le lui as dit - pas trop tôt le matin, le mercredi pour les enfants - et, contrairement à ce qui s'était passé la dernière fois que tu t'étais entretenu avec un membre de la direction d'un collège, tu n'as pas eu à quémander, à quêter, ou à révéler des choses aussi intimes que je suis en train de divorcer, mes fils vont vivre à Toulouse, laissez-moi le vendredi après-midi pour que je puisse aller les chercher. S'il vous plaît.

Non, elle a sans doute simplement considéré que tu exprimais tes préférences, et qu'elle s'en arrangerait au mieux.

Elle t'a ensuite proposé une petite visite de l'établissement. Tu l'as suivie dans les couloirs. La conversation, jusque-là un peu froide, s'est animée. Elle t'a demandé si tu t'y connaissais en informatique - tu as répondu que oui, et enchaîné en demandant si le collège possédait de quoi faire de la vidéo. C'était le cas ; elle en a profité pour te détailler les projets d'établissement - la musique, le latin ; tu as dit que, de ton côté, tu écrivais. Elle a eu l'air ravie : tu pourrais t'occuper de l'atelier théâtre !

Vous avez visité le CDI ; sur les tables étaient disposées toutes les séries des manuels qui seraient distribués à la rentrée aux élèves. Tu connaissais bien ceux de Français - tu as déjà travaillé avec. Tu en as ouvert un, et son odeur est montée d'un seul coup vers toi.

Vous avez encore un peu parlé, en visitant rapidement la cour de récréation ; la principale avait sans doute d'autres choses à faire, et tu as pris congé en lui souhaitant un bon été.

Tu as attendu à nouveau qu'on t'ouvre la porte, ton vélo à la main - il a fallu quelques minutes. Tu as repris le chemin du canal.

Tu es passé à nouveau à côté du pêcheur. Dans ta tête, les pensées tournaient au même rythme que tes coups de pédale.

Un, deux. Tu vois, ça s'est bien passé. Ca a l'air sympathique. Ca nous fera un revenu. Un, deux.
Sans ça, je n'ai aucun statut.
On peut être enseignant et artiste.
Tu vois, ça s'est bien passé.

Très bien passé
.



Alors pourquoi tu pleures, connard ?






707 - Doutes encore


- Mais vas-y donc ! me disait Gomez hier soir, alors que je lui rapportais que, oui, la triste nouvelle était tombée sur nos télescripteurs, l'Educ Nat et un petit collège tranquille de Toulouse me tendaient les bras.

Dans le même temps le bougre me racontait comment il a envoyé chier un agent de la CAF qui lui conseillait de se recycler (c'est du Gomez : "Je pensais justement aller vendre de la drogue à la sortie des écoles... vous avez des enfants ?")

Côté pile : de la tune, un métier que je sais faire. Et que je fais plutôt bien. Ou que je faisais.

Côté poil : devoir faire attention. A ce que je dis et à qui, à mon comportement/image/discours. Devoir rendre des comptes. Devoir noter.

A la vérité, j'aimerais avoir le courage de tout envoyer promener - de donner ma démission. Au-delà du côté couillu de la chose, je crois que ça me libèrerait d'un poids.

Mais je ne peux m'empêcher de penser un avenir où les hélicos se tariraient, où je devrais, ringard, courir les officines et les administrations pour tenter de trouver de quoi vivre le prochain mois.

Hier soir, les effets euphorisants du Canabols(R) sous la lune me faisaient voir une situation de possibles, voire de plaisirs - travailler, un peu, à transmettre deux-trois trucs que je crois savoir sur la littérature, la foi en les histoires et les livres de l'humanité ; rencontrer, apprendre ; avoir quelque sous pour des projets qui me passionnent ; trouver, non pas du temps, mais de l'impulsion pour écrire encore et davantage.

Et mettre rapidement un terme à ma carrière d'enseignant. Ou en trouver une autre. Ou... et merde, voilà que ça me revient.

Aujoud'hui, j'ai fait le ménage. Il y avait des araignées au plafond.

Partir serait lâche - éviter la réalité.
Rester serait lâche - fuir la voie d'artiste (ce putain de mot dont j'ai honte encore) que je m'étais dessiné, et où j'avance pas à pas.
Ne pas choisir serait lâche - attendre l'événement l'accident la fatalité la morsure qui déciderait pour moi.

Hell, I'm fucked.

Je vous tiendrai au courant.



Choisir serait lâche - céder au réel qui exige des choix.

2.7.09

706 - Silence


Chut, te dis-tu,
Laisse creuser ces rêves,
Laisse agir le hasard,

Tu serais incapable
De parler en ton nom
De mener à ta guise

- puisqu'au fond du ventre
Naît le creux quand tu reposes

Continue, respire, fais silence,
Cherchant de tous tes yeux
Le miracle d'un sens
(illusoire peut-être, mais chut, te dis-tu,
Laisse creuser ces rêves...)