30.9.09

742- MArdi, je te raconte


Tout en haut de l'Arbre, la pléïstéchione s'ennuyait ferme. Plus personne pour jouer avec elle. Elle comptait ses boutons - le vert, le jaune, le rouge, le violet. Elle comptait ses boutons, et elle ne faisait rien.

Tout en haut de l'Arbre, il n'y avait rien à voir, rien à entendre, rien à sentir. Une zone mal développée de son cerveau de petit animal préhistorique lui indiquait qu'il devait certainement se passer quelque chose ; mais ses sens ne captaient rien, rien qui sorte de l'ordinaire - sauf quand elle posait sa pattentacule sur les bords du trou, au centre de l'Arbre.

Là, oui, quelque chose vibrait, quelque chose se passait.

La pléïstéchione, d'ordinaire précautionneuse, ressentit le besoin de placer une deuxième pattentacule dans le vide qui s'ouvrait devant elle.

28.9.09

741 - S'agirait quand même...


... de cesser de geindre-philosopher sur ma situation de futur-ex fonctionnaire et de rêvasser des romans ainsi que de mettre un bémol sur la maquette musicale en cours, pour s'occuper un peu d'auto-promo, bordel !

Côté théâtre, c'est à partir de mercredi que la Cie À la fin de l'Envoi reprend Tonton Maurice est toujours mort au Théâtre de poche (quartier Bonnefoy, à Toulouse, where else ?) ; c'est l'occasion de la voir pour ceux qui ne l'ont pas vue, et, pour les autres, de découvrir une nouvelle comédienne dans le rôle de la petite soeur bécasse...

J'y serai ; si vous y êtes, on se verra.

Et puis je ne résiste pas à partager la bonne nouvelle du jour : London Calling, roman bilingue, paraîtra en juin 2010 aux éditions Talents Hauts - a priori en collection lycéens/adultes.

Sympa, non ? Si ça vous dit, on en parle ce ouikend au salon du livre de Gaillac, où il y aura des lectures (malgré la présence probable et remuante de mes chers petits monstres) et tout plein d'auteurs qui signent...

Bin alors à bientôt, hein ?


PS : devant tant d'autosatisfaction décomplexée, mon côté autocritique se révolte tout de même un peu ; alors pour ne pas parler que de mouamouamoua, je vous mets aussi un lien vers Le Clou dans la planche, site toulousain de commentaires théâtraux éclairés - ici, pour une mise en scène de Jean-Paul Bibé de la Cie Fugues sur des textes de Ribes, Dubillard, etc. Oui, oui, c'est passé, mais j'y étais et c'était bien, alors voilà.

PPS : Rhaaa oui, mais ça ne concerne que les toulousains, au fond... et il n'est pas totalement impossible que des personnes vivant ailleurs lisent ce blog... vivivivivi... du coup, c'est l'occasion d'annoncer aux habitants de l'autre capitale qu'ils vont recevoir d'ici peu la visite du duo de choc du théâtre toulousain (qui cherche un appart, d'ailleurs, contactez-moi si jamais vous) : Cédric Chapuis et la belle Mira envahissent Paris, avec en particulier 4 mois de représentation pour Une vie sur mesure, de et avec ledit Cédric. Même que ça, faudra pas le rater.

27.9.09

740 - Chroniques du loir

Il y a un loir qui vit dans la cuisine. Je me dis parfois que c'est un colocataire. À d'autres moment, je pense qu'il me faut l'éliminer.

J'ai rencontré les loirs récemment. J'en avais entendu parler, bien entendu, et peut-être vu des photos à gauche ou à droite. Mais en vrai, de visu, face à face, c'est très récent. Ca date de cet été même.
Nous étions elle et moi sous le mur de ma chambre, de ma chambre d'enfant, dans la maison qui se considère toujours comme la mienne.
Quand je dis "la maison se considère toujours comme la mienne", c'est parce que c'est l'impression qu'elle me donne. Je crois que je l'ai quittée il y a des lustres, que j'ai eu d'autres maisons. Mais quand j'y retourne, je me dis que cette maison m'appelle. Qu'elle a des choses à me dire.
La maison de mes parents est à l'écart d'un petit village, dans une zone urbanisable. Ils l'ont construite sur un terrain agricole, il y a une trentaine d'années. À l'époque, la maison était à l'écart du village ; aujourd'hui, elle est entourée de lotissements. Une usine à même poussé, sur une colline. Une usine de traitements de déchets.
Ma chambre d'adolescent donnait sur ces collines. Je les ai regardées souvent. Mes pensées, à l'époque, me portaient plutôt vers le futur. Par la fenêtre, je laissais mes yeux errer sur la forme familière des collines, sur les alternances de vert, de jaune et d'ocre.

24.9.09

739 - Quelques heures


Depuis peu, allez savoir pourquoi, je me suis remis à penser en heures. À penser en termes de cours, de classes, d'horaires.
D'horreures.
Ma journée se divise en temps-que-je-prends-le-matin pour rêver, temps-de-la-musique le soir.
Il y a également le temps-que-je-passe dans cette petite librairie-tartinerie, entre un bout de nouvelle et un cours de yoga, et le temps-que-je-passe avec elle.

Les jours n'ont pas tous le même goût. Il y a le lundi-pistache (je n'aime pas la pistache) avec ses longues heures et ses trous dans les cours ; le mardi-répète, où je pense à ma voix en jouant avec un tableau interactif ; le mercredi-vortex, où nous courons pour amener les enfants aux activités qui les ennuient presque, et au terme duquel je ne trouve pas toujours la force d'aller jouer au rugby. Et puis le jeudi et le vendredi qui se traînent en promettant vaguement un ouikend.
Et ainsi de suite.
Je repense à mes semaines en terme d'agenda. Avec des cases dedans.
Il faut bien dire que les non-cases, le temps dodu où je ne fais pas présence dans ce fameux collège, se teintent de joie créative. Il faut bien dire que les quelques kilomètres de vélo au bord du canal me vident la tête.
Et malgré ça...
J'étais un bon élève, je crois. Un de ceux qui se prennent pour des rebelles, mais obtient toujours les notes qu'on attend de lui.
J'étais un bon élève, je crois. Après avoir pleuré les premiers jours de 6e, dans cet univers de petits durs stupides et de cours sans affection. Pauvre petit bonhomme, va. Pauvre inadapté.
Plus tard, j'ai été un bon prof. Les leçons me semblaient une évidence, et parfois même j'ai réussi à les expliquer.
Ce matin, Ysmaëlle (fifille d'E.) a mal au ventre. Elle ne veut pas aller à l'école.
Je n'ai pas mal au ventre. La journée s'annonce facile - contrôles, du silence, quelques copies à corriger.
Je pense à "Come down", un nouveau morceau en train de s'écrire ; je pense à "L'île du moine à tête de mort", une nouvelle en cours. Je pense à la télé hier soir, ce débat sur la jungle de Calais, et à London Calling, mon dernier roman bilingue, qui se passe là-bas.
Je pense à tout à l'heure, quand je reviendrai très tôt du taf.
Je pense à la lettre que j'ai écrite, qui comportait le mot démission - et à ce mot qui me gêne. Je voulais juste dire changement.

Oui, les choses changent. Pour le meilleur, je crois.

22.9.09

738 - MArdi, je te raconte


- Papa ? Papa, c'était quoi, alors, tout ce mouvement ?

Esag haussa les épaules. Comment pouvait-il expliquer à son fils ce qu'il avait vu et ressenti ? Il n'était même pas certain que Rahoul avait perçu les mêmes images, la même douleur lancinante d'être père, d'être fils.

Dans un coin de sa caboche préhistorique, il espérait que son enfant avait vu autre chose : le bonheur, les sourires, la complicité ; l'acceptation d'être soi, d'être autre ; le sourire sachant qu'un jour la graine deviendrait une fleur.

Esag n'avait jamais fait d'histoires. Il n'était pas fan, il faut dire, de raconter des choses, d'imaginer, de rêver d'un demain d'un ailleurs. Non, jusque-là, Esag était plutôt tranquille - du genre à se gratter quand ça le grattait, à manger quand son ventre faisait de la trompette, à regarder mûrir les fruits. Mais au fond de ce sequse, de cette matrice de récits où les avaient entraînés leur chute, toutes les pensées avaient changé. Le père de Rahoul s'était mis à craindre la prochaine contraction du sequse, qui les projetteraient Qui sait où, qui leur ferait vivre peut-être des aventures, qui...

Il y eut un mouvement sous les pieds des deux Zoms.


Une main posée sur l'épaule de son fils Ra'ahul, Hersag-le-farouche contemplait le petit port de pêche. Les mâts des navires dessinaient une forêt ondulante que la ligne des flots partageait en deux. Le soleil se couchait sur la bourgade, et l'on voyait des groupes d'hommes remonter vers la ville, les bras chargés de cordage et de caisses de bois contenant des poissons frais. L'air embaumait le sel, et des rires joyeux se répercutaient entre les barques.
- Demain, nous mettrons cette ville à feu et à sang", déclara Hersag d'une voix douce.
Son fils approuva, le regard dans le vague. Car depuis des années, il attendait ce moment.

-
Papa ! Ca a recommencé !" s'exclama Rahoul. "C'était quoi, cette histoire ? Elle avait l'air très chouette."
Esag soupira. Ce n'était pas une histoire - à peine un incipit. Mais pour un début, c'en était un : celui des ennuis.

17.9.09

737 - Le pronom personnel sujet de première personne


Je

suis rentré de Lauzerte où

Je

me suis amusé,

Je

pense souvent à changer de métier

Je

déteste me sentir fatigué coléreux inutile

Je

pars demain vendanger et chercher les nuages

Je

passe les interclasses à écrire une nouvelle

Je

participe le vendredi à ce blog à six mains

Je

vous souhaite de douces choses et un ouikend rêveux.

15.9.09

736 - MArdi, je te raconte


L'instant d'après, ils étaient.

Le père et le fils.

Le fils qui pleurait le père à la guerre, n'avait rien vu de lui qu'un uniforme gris aux épaulettes rouges, une peau mal rasée pour un dernier baiser, le fils qui pleurait le père qui ne reviendrait pas

Le père qui posait sa main sur le bois du couvercle, ses ongles caressant le cercueil comme on berce,

Le fils retenant la corde, la terre appelait la terre, le fils qui se disait c'est dans l'ordre des choses,
et détestait les choses, et les ordres, le père qui hurlait mon dieu comment as-tu permis.

Eli, Eli, faisait l'un,
J'aurais dû j'aurais pu pleurait l'autre

Ils étaient la fin dans tout ce qui commence, ils étaient le début dans ce qui doit mourir,
Ils étaient celui qui dit avec moi la vie s'arrêtera d'elle-même , je ne transmettrai
Ni le remords ni le crime
D'exister.

Ils étaient le vieux chasseur dont le fils à contrecoeur s'occupe, regrettant la plus tendre viande qu'il rapporte à sa bouche, ils étaient le jeune loup défiant le monde de lui donner moins que son droit, celui de son espèce,
Ils étaient l'héritage, le vassal, le conflit, le royaume,
La terre qu'on partage, la misère qu'on creuse,
L'incompréhension de se voir si laid si vieux si jeune en ce miroir,
Ils étaient l'ancien monstre déchiré de marmaille, l'égoïste régent, le roi qui s'endormait,
Ils étaient le prince le promis qui ne sera que l'ombre,
Le père qui grimace de son fils trop connu,

La jalousie,
Un mendiant qui tuait un homme à un carrefour et se crevait les yeux de ne l'avoir pas vu,

Ils étaient cet instant d'équilibre quand le premier pied pose
sur le sol la verticalité,
Ils étaient le regard admiré, la barbe épaisse et douce, les bras contre les bras, la peau avec la peau,
La recherche toujours de l'ombre pour la tuer.

Ils étaient un grand fils qui partait à la guerre, le père qui grimaçait, pudeur soumise,
Regrettant de n'avoir pas changé le monde quand il en était temps.

Ils étaient l'ingrat, le mouton noir, la fissure, les changements de ton, les cris, les ceinturons.

Ils étaient un instant de tendresse, deux hommes vieux déjà qui se regardaient naître, un plaisir partagé, un miracle discret,

Ils étaient chaque fils chaque histoire chaque père, et aucune pourtant
Ne se terminait bien, si ce n'est d'un sourire, d'un vieillard fatigué qui dit je suis content,
Je sais où je vais, j'ai réussi le reste
Parce que je l'ai vécu comme un homme, mon fils,
Un humain élevé à la grâce de père,
Pour tes yeux, ta présence, pour t'offrir la pareille
D'exister dans la chair et de me dire adieu.

Ils étaient un dieu qui crucifiait son fils,
un dieu qui fendait le crâne de son père pour en tirer ses frères,
un dieu qui renaissait comme un autre lui-même,
un dieu qui sanglotait du désir engendré.

Ils étaient un peu aussi la honte, le tiens-toi droit, le ne fais pas ça,
Où chacun regrette l'instant où l'autre
Était semblable à lui, dans un temps ressassé.


Puis le seqsue redevint immobile.

- Bin dis donc... c'était quoi, ça ? lança Rahoul, assis par terre.
Dans un coin, Esag pleurait.

Tout au sommet de l'Arbre, la pleïstéchione n'arrivait pas à faire le lien entre sa nouvelle situation et la précédente : elle les avait enfin retrouvés, ils allaient pouvoir s'amuser ensemble - et puis pouf, voilà qu'ils avaient à nouveau disparu...

Elle glissa une pattentacule vers le centre de l'Arbre.

12.9.09

735 - Demain, Lauzerte


Et sera encore
le centre du monde de la nouvelle
la place relevée les cafés des arcades

(un service d'hélicoptères exceptionnellement mis en place entre Lauzerte et
les villes principales que sont Rodez Tokyo Clermont-Ferrand, Paimpol Labarthe Biarritz
Louvains-la-neuve Arnheim Le Cap et la métropole régionale de P.)

Et il n'y aura pas que des livres des récits brefs de forme surprenante
Des touristes aux yeux noirs écarquillés
Pas que des rires et des fleurets des lectures
Pas que des souvenirs

Il y aura sans doute
Une ourse un dindon un ballon de baudruche
Un sandwich jambon-pizza et un verre de lait

Il y aura demain la journée du patrimoine
Annie Saumont rejettera la langue
Nous admettrons nous livrer à l'illusion d'écrire
Flambant secrètement du désir de briller

Nous dirons nos histoires, nous dirons nos histoires
Une touriste en short criera d'admiration
Devant, allez savoir, la place des cornières
Où un texte si bref qu'il recueille sa vie.

Nous aurons rendez-vous avec l'ombre
Et
Boirons frais
Sous la pierre levée.

9.9.09

734 - Je m'en occupe, si, si


Il fait beau.

Ca peut paraître déplacé, je vous l'accorde, mais en ce moment il fait beau. Le canal fait le malin avec les couleurs de septembre, je me surprends à chantonner sur mon vélo quotidien.

Pas L'été indien, mais limite.

Et finalement Annie Saumont Serge Valetti semblent intéresser les. Le tout serait de trouver le temps, le rythme - pas aussi vite que je voudrais aller (pourquoi au fait ?) ni aussi doucement qu'ils le souhaitent.
Quoique. C'est le début. Nous verrons. Je renouvelle le CDD pour demain au moins.

Mais d'autres tâches. Relire - le prochain recueil d'Emmanuelle Urien (qui fait des trucs dans le ventre dans la tête, le recueil pas Emmanuelle. Quoiqu'Emmanuelle aussi, mais bon, éloignons-nous de l'intime). Relire des traductions, préparer les prochaines. Relire un texte intitulé Le Facteur n'est pas passé, qui s'inscrira prochainement dans la collection des livrets-carte postale des éditions D'un Noir Si Bleu (insérer lien, gros malin). Relire les amicales relectures de London Calling (roman bilingue avec de l'amour de la colère une guitare mythique, des fils sans père et des pères sans fils) avant de l'envoyer aux éditions Talents Hauts - allez savoir, elles pourraient même l'accepter...

Et pis évidemment gérer les 317 déplacements occasionnés par le sport des enfants le mercredi (que les amateurs se rassurent : Anton et Zadig ont cette année opté pour le pingdupong. Ca manque un peu de caramel à mon goût, mais ça m'est plus simple que le f... le foo... oh laisse tomber).

Mais je m'en occupe, promis. Je veux dire, de faire l'annonce de ce nouveau blog colittéraire, Tempête dans un encrier, où je suis censé officier dès vendredi en houit (pour nos lecteurs belges), et qui ouvre lundi. Ce sera peut-être l'occasion, qui sait, de commencer ou de reprendre un roman pour adultes...

Je m'en occupe. Tellement que je vais finir par me sentir occupé. Et rêver de vacances.

Ca voudra dire que je travaille, ça ?



(illustrations d'Aglaé, piquée sur le site de TduE...)

8.9.09

733 - MArdi, je te raconte...


- Et je ne veux plus te voir, c'est tout, je ne te supporte plus !

Le père hurlait dans la voiture, sa voix résonnait par les vitres ouvertes à travers le parking dans les rues,

- Toujours à demander exiger courir râler faire la gueule,

Sa colère montait comme le flot d'une rivière trop longtemps engloutie, sa colère mêlée de douleur stupide (il avait envie de pipi et venait de casser ses lunettes par maladresse contre son front), sa colère aux accents d'inquiétude je ne suis pas le père que je voudrais te donner ; sa colère, pourtant, qu'il trouvait juste - qu'avait-il demandé, après tout ?

Et l'enfant - l'enfant grandi, il avait ton visage, tes yeux étrécis, ta bouche dure - l'enfant dit de la voix de son ventre

- Là tu es en colère, mais dans dix minutes tu regretteras ce que tu dis

Alors le père se tut. La rivière en lui était siphonnée de rire ; une partie moins incandescente de son cerveau lui soufflait que pour la première fois son fils lui avait - oh non, pas tenu tête mais - indiqué la sagesse et le calme.

C'était dommage, pour ces lunettes, d'accord. Et il devait trouver des toilettes rapidement. Il se demanda quand il cesserait d'être un gosse.

***

Rahoul et Esag se regardèrent. Que venait-il de se passer ? Toutes ces images, ces sensations, ces mots entre eux - d'où venaient-ils ?

Le sequse ne bougeait plus - Esag tendit la main vers son enfant, enfin, et

Le sequse bougea à nouveau.

6.9.09

732 - Préparer les cours


Étrange, cette impression que tu as de ne pas être à la hauteur.

Cette nuit, dans le rêve, un élève te tenait tête. Tu finissais par t'asseoir en tailleur contre un arbre, attendant sans doute que quelque chose se passe.

Dans le matin tardif, tu pensais que tu ne voulais plus que ce métier hante tes nuits et tes matins ; tu te demandais comment faire sentir la différence entre auteur et narrateur ; tu te disais qu'il fallait peut-être en revenir à conjugaison-grammaire-orthographe, des leçons à l'ancienne, du contenu à apprendre par coeur en espérant qu'un jour ils trouvent par eux-mêmes un accès aux mots à la langue à la littérature. Aux textes.

Et puis tu pensais à Slip en Lin quand il racontait comment son prof de saxophone lui avait tout enseigné en restant lui-même, un musicien, un créateur.

Première cigarette, pour dissiper la peur de la nuit.

Et puis cette image du saxo a redessiné quelque chose.

Vendredi matin, les élèves étaient gentils.Polis. Presque intéressés. Les petits m'ont trouvé drôle -je ne sais pas bien ce qu'ils voulaient dire. J'ai mangé dans le parc près du canal, me disant qu'après tout.
Vendredi après-midi, les minutes collaient au cadran de ma non-montre ; nous n'avancions plus, j'hésitais, je me savais fourvoyé. Jules Verne n'avait rien à leur dire, même quand je leur parlais de Spielberg ou de Fast and Furious.
Les mêmes ficelles, vraiment - mais comment le voir quand la question posée était qui est l'auteur le narrateur relevez le cadre spatio-temporel.
Construire en kit, pas à pas, pour amener à l'indépendance. Les programmes de 1998, prévus d'après des observations d'élèves d'il y a quinze ans, au mieux.

Voici des partitions de saxophone, voici des disques. Voici les clés, l'anche, le bec, le corps. Tout démonté. Voilà. Pas à pas, vous apprendrez à jouer du saxophone.Pas ici, bien sûr, cela ferait trop de bruit. Mais vous avez tous les éléments en main pour devenir

(ici le nom d'un saxophoniste, mais ma mémoire est absente, inscrivez qui vous voulez, Miles Davis ou Louis Sclavis ou Eric Clapton).

C'est vrai que ma mémoire est absente ; j'ai assez vécu de dîners en ville où tout le monde parlait de ce qu'il avait lu vu fait, et moi qui me sentais un peu idiot, j'ai vu ce film lu ce livre puis oublié. Absorbé dans mes cellules mes gestes ma joie de vivre, mais me souvenir de ce qu'il racontait, oh, non...

Il me faudrait passer des heures à redécouvrir des textes, chercher des correspondances, fouiller les corpus ; ou bien m'appuyer sur un livre, un manuel dont les couleurs criardes sont affadies par les années de regards.

Ou.

Merde, les partitions, le remontage de saxo, est-ce que ça m'intéresse ? Est-ce que ça peut les intéresser ?

Les élèves se tiennent mal sur leur chaise, lourds, sans grâce, le regard qui s'en va. Quand ils sortent du collège, ils sourient s'interpellent allument des cigarettes parlent de vélos et de skate. Ils vont tous bien, ne nous en faisons pas.

J'ai aussi le droit de décider que je ne veux plus faire ce métier ; que passer des heures à traduire monter des morceaux de musique relire corriger créer des textes est ce qui me fascine, et que la vieillesse la sécurité de l'emploi sociale mutuelle assurance sont après tout des questions secondaires, voire des embûches sur la route de la vie. J'ai aussi le droit de démissionner pour changer de carrière, malgré la promesse d'un salaire d'indemnités de départ volontaire d'années sabbatiques pour réorientation. J'en ai aussi le droit, malgré les messages des commentaires qui rallument en moi l'idée de responsabilité de devoir de dette peut-être envers un système scolaire une famille des amis qui m'ont amené ici. J'ai aussi le droit de le faire, sans prétexter d'un système ceci ou d'une individualité cela. Sans que ce soit un échec, un manque de courage ou au contraire un acte de bravoure insigne. Juste comme on change, quoi.

Et si...

Non, ce serait.

Pourtant.

Je suis écrivain, merde. Plus étudiant en français. Je suis écrivain, et ce que je peux faire, c'est aider à écrire. À exprimer. D'accord ils sont jeunes et nombreux et complexés pour certains et pas tous très motivés. Ils parlent de théâtre, de films, de séries télé.

Qu'est-ce qui se passerait si je leur demandais d'écrire, et que je leur fournisse en cours (de route) les outils nécessaires, que je leur fasse remarquer leurs forces et leurs faiblesses, que je les guide vers d'autres textes qui pourraient les éclairer ?

Au pire, cela ne les intéressera pas plus. Au pire (ou au mieux) je me ferai virer pour ne pas coller au programme. Mais au mieux...

Atelier d'écriture théâtre pour les 3e. Récit pour les 5e. Lettre pour une 4e, pour l'autre je verrai.

Voilà. Ils sont prêts, les cours.

Demain, deuxième jour de mon CDD reconductible au jour le jour.

Étrange, cette impression que tu as de ne pas être à la hauteur.

3.9.09

731 - Mes bien chers élèves,


Mes bien chers élèves,

Je ne vous connais pas encore. Je vous rencontre demain ; pour l'instant vous n'êtes que quelques visages de gosses empruntés, sur un trombi auquel je n'ai jeté qu'un oeil distrait.

Je tente de rassembler les tronçons de ma mémoire ; repenser en termes de mois de notes de progression, et pourquoi pas d'objectifs et de séquences pédagogiques ; j'ai même lu Télérama, c'est vous dire si je fais des efforts.

Et pourtant la tentation est grande d'arriver devant vous les mains vides, le coeur ouvert ; de vous avouer que je ne suis pas plus prof que vous êtes élèves ; que j'éprouve devant la notion d'éducation - et sa racine dux, conduire, mais aussi chef militaire - une grande flaque de doute.

Dans quelle mesure être prof consiste-t-il à reproduire le système qui nous a façonnés ? À rêver de premiers de la classe qui deviendraient profs à leur tour ? Dans quelle mesure, au contraire, suis-je en train de scruter les programmes de la République en cherchant les sous-jacences et les failles, avec l'envie de vous mener au refus de tout système ?

Des textes, des images, des romans. De la conjugaison de l'orthographe du discours énonciatif direct (à soupape inversée). Des faits de civilisations, des vestiges d'histoire.

Il faudrait je suppose que je vous présente tout ça avec une assurance tranquille, dans un ordre évident. Ce qui suppose que j'y croie.

Parfois pourtant je me dis que les mots des écrivains ne sont que le reflet des époques qui les ont enfantés, et des époques suivantes qui décidèrent d'intégrer ou non ce que les époques précédentes prétendaient leur dire. Parfois pourtant je me dis que les livres les connaissances sont inutiles, jappements pitoyables devant l'irréductible, vanité (des vanités, voir notre éventuelle leçon sur le baroque). Et que c'est Mr Sarkozy qui me paie pour faire ça.

Il est fort difficile, par exemple, de trouver une édition complète de l'Astrée. Dont les ressorts, pour autant que je sache, sont exactement les mêmes que ceux de Plus belle la vie. Le XVIIIe siècle a détesté Shakespeare, et Racine n'était au fond qu'un théâtreux parmi d'autres, sauf que celui qui le payait était le roi du coin. Qui d'entre nous, enfin, a entendu parler d'Elias Zakipony, écrivain de langue française quoique d'origine incontrôlable, dont les mots ont conduit à l'époque plus de huit personnes à une vie de joie et de félicité, et qu'aucun dictionnaire ne cite à présent ?

Et puis le programme parle de littérature contemporaine -c'est-à-dire, du XXe siècle - vous vous souvenez ? Vous étiez à peine nés. J'hésiterai donc à vous parler de Murakami Virginie Despentes Jean-Louis Ughetto Annie Saumont Serge Valetti Philippe Caubère. Pour ne pas citer Cédric Klapisch, Baudouin, ou des poètes dont je ne connais même pas le nom. J'hésiterai surtout si c'est pour les ramener à leur dimension de fabrique - qui parle de qui de quoi qui est l'énonciateur l'émetteur le destinataire, relevez les subordonnées de temps et les pronoms sujets.

Je ne suis toujours pas certain de ce qu'on me demande. Vous faire aimer les livres, les mots, la langue ? Bordel, mais lisez San-Antonio. Lisez pendant mes cours. Écrivez des histoires pendant que je parle.

Et puis vous aurez toute une vie pour découvrir ça ; ce que je sais, en revanche, c'est qu'en tant que lecteur ou écrivain, je ne me suis posé les questions du point de vue narratif ou de l'énonciation que parce qu'un prof m'obligeait à désigner par ces mots des choses que je sentais d'instinct ; ce que je sais, c'est que j'ai passé des années d'études à décortiquer des textes en évitant soigneusement de dire qu'ils me remuaient ou au contraire me laissaient de marbre.

Faut-il que je vous apprenne à répondre à des questions que je ne me pose pas, avec des termes techniques qui, au mieux, singent la réalité des textes, au pire les enferme dans des carcans pour éloigner de la maîtrise du langage ceux dont il pourrait être la seule arme ?

Mes chers élèves, je me demande qui vous serez. Qui vous serez demain, quand nous nous verrons pour la première fois. Combien de filles de profs à lunettes et sourire, connaissant mieux le programme que moi, à l'esprit froid et appliqué déjà à la poursuite de futures études qui vous porteront au sommet des connaissances - ou au sommet d'autre chose, mais au sommet, toujours ; combien de fils d'immigrée célibataire qui penseront, en cours, en termes de scooter Iphone M6 pétards fringues gonzesses à niquer (refusant de nommer, s'ils le sentent, ce presque vide déjà, ce creux au-dedans), et qui me souriront peut-être quand, des années après, je les recroiserai.

Combien d'individus, d'être humains dont j'aurai, pour quelques mois, une terrifiante responsabilité. Combien de graines en vous que je risque de ne jamais faire éclore, piètre jardinier, à cause de mes colères mes incompréhensions mes impatiences. Voire, et c'est manifeste puisque je blogue au lieu de préparer mes séquences, à cause d'un manque de boulot.

Je ne sais pas si je rêve d'un espace où nous échangerions des connaissances, à l'abri des pressions du langage des médias des vieux schémas des systèmes des obligations d'être de noter, ou si je rêve de vous armer pour mieux vivre, pour le bonheur, la réussite, le succès le triomphe et la Rolex à quarante ans. Je ne sais pas si je veux vous voir vieillir, changer ou grandir. Je ne sais pas si je rêve que vous soyez comme des enfants, mes enfants peut-être (si c'est le cas, alors rangez votre chambre, merde), ou des clients, des auditeurs externes, une collectivité dont je serais un prestataire de services parmi d'autres.

Je ne sais pas si je me souviens de tous mes rêves, des livres qui me font vivre ; je ne sais pas si je saurai vous expliquer comment chaque virgule participe d'une harmonie, cosmique, parfois ; comment je me fous éperdument de vos fautes d'orthographe et tout à la fois je les crains comme un lacet défait à votre chaussure, qui menace de vous faire tomber (et vous exposer aux rire cruels des autres).

Je ne sais pas si je n'ai pas détesté mes années de collège, où je me suis façonné, sale petit con au coeur vaguement tendre, imitant mes potes-modèles-adversaires qui montraient les dents en riant ; où je me suis découvert un corps fièrement détestable, infiltré d'hormones et de sexes liquides. Où j'ai appris à ne pas pleurer, à ne pas faire d'histoire, à détester le fait d'avoir envie des seins des filles et des jambes des garçons. Et où je ne me posais pas la question du sujet du verbe du complément - j'étais malheureusement le bon élève, celui qui retient et sourit et recrache, avec la touche en plus de personnalité rock'n'roll rebel (j'avais un badge des Stray Cats) qui flatte les enseignants les plus désireux de modernisme.

Mes bien chers élèves, il est évident également que je peux faire l'économie de ces doutes devant vous. Nous avons un manuel qui propose des séquences ordonnées, et je me surprends à me dire qu'après tout il n'est pas si mal conçu. Il est évident que je peux faire l'économie de l'existence d'un certain Manu Causse, le pseudo et l'ombre de votre Prof de Français - à moins que ce ne soit le contraire. Il est évident que ce suicide ne sera que temporaire, partiel et réversible. Mais une voix me sussure : "Et si être bon prof, c'était être honnête ? Et si être honnête, c'était vivre en homme ?"

(Nous retrouverons, mes bien chers élèves, cette problématique en étudiant la littérature de la Renaissance. En quatrième. Ou alors en troisième. Ou en cinquième, qui sait ? Il est possible que j'ai à vérifier.)

Sachez, mes chers élèves, que je ne sais rien. Je vous souhaite d'être les lumières qui me guideront vers le métier d'enseignant. Ou les panneaux rouges vifs qui m'indiqueront que je me suis fourvoyé.

Sur ce, et en attendant la suite, bonne rentrée à vous.

2.9.09

730 - Sujet : Racontez vos vacances...

Mais c'est quoi ce titre ?

Oh la non. Pas le temps, pas forcément l'envie. Et puis il y a des passages qu'il vaudra mieux passer sous silence, par pudeur, politesse ou simple manque d'intérêt.

C'étaient des vacances. Je n'ai presque pas travaillé : à peine une pièce (En attendant Daniel, toujours en lecture chez des comédiens scrupuleux), un petit roman bilingue (London Calling, mes Talents Hauts d'éditrices aimeront-elles ?), une paire de nouvelles, un début de maquette pour LoFi et un ouikend de travail gersois pour la prochaine adaptation scénique du Petit Guide des transports.

Plus un chouette festival à Forcalquier, où Emmanuelle et moi avons texté nos lectures emmusiquées. Et un détour par les Cévennes, dont je vous tins au courant.

Que retenir de ces vacances ? Le fait qu'elles se terminent. J'ai en effet, comme annoncé à grand renfort de crises d'angoisses dans ces colonnes, repris un poste de collégien en prof (ou un truc comme ça) dans un petit établissement de la ville de T. Ca ne m'inspire pas encore - mais ça pourrait venir, qui sait.

Bin alors, que des nouvelles pas intéressantes ?
Voire.
(J'adore écrire "voire", ça fait académichien).

Ce sont de nouvelles dont j'aimerais vous parler. Pas seulement pour rappeler que la plupart des exposants de Rentrée nouvelles à Forcalquier se retrouveront le 13 septembre à Lauzerte (82) pour le raoût annuel de l'édition légère (comme on dit "brigade légère"), mais aussi pour vous parler du Chien U et de son maître, Jean-Louis Ughetto.

Je ne connaissais ni l'un ni l'autre avant d'arriver à Forcalquier ; et puis une lecture publique m'a fait dire "Mais je veux lire ça !". Ce que je fis, ledit Jean-Louis étant aussi mon voisin de table.

Et j'ai lu.

Des marins, des aventuriers, des paumés, des chanteuses et des putes. Des hommes déracinés louvoyant autour de femmes aussi fixes qu'insaisissables. L'odeur d'aisselles et de pieds et d'amour de l'humanité. Le chien U, qui a la côte avec les filles mais n'en profite jamais. Un type qui dit Je et qui interroge son karma. Qui lui répond vaguement.
Les noms, les personnages, reviennent de recueil en recueil. Comme une danse très lente, des couches de souvenirs éparpillés.
Et le chien U.

Après avoir dévoré le premier recueil, et avant d'acheter les autres, je me suis tourné vers Jean-Louis et je lui ai dit : "J'aime bien ce que tu fais". Mais là, c'était ma pudeur noueuse, parce qu'en fait, j'aurais bien aimé dire des trucs comme époustouflantgénialgrand (quoique, ça sonne souvent faux, non ? Mais là, bon, bien c'était.)

Du coup, je me rattrape sur ce billet de rentrée : pour une fois, j'insiste, vous DEVEZ lire Ughetto, dénicher ses recueils rares (aux éditions la Chambre d'écho, qui ont un site très lo-tech), et vous y précipiter toutes affaires cessantes.

Et vous me ferez un compte-rendu de quinze pages pour lundi en huit.

Merde, voilà que ça me reprend...

1.9.09

729 - MArdi, je te raconte


C'était un sequse.

- UN QUOI ? MAIS PAPA, ON A DIT QU'ON NE PARLAIT PAS DE CA !
- C'est pas moi. C'est le narrateur. Et puis mets des cédilles, quand tu parles, mon Rahoul adoré.


Il y eut un temps. Un temps qui dura. Malgré, ou à cause de, la situation.

- Papa ?
- Oui ?
- C'est quoi, un narrateur ?

Et merde, ça y était : Esag allait devoir expliquer.

Ils étaient dans un sequse, parce que c'était le début, le tout début de l'histoire. Ils étaient dans un sesque parce que c'était là que ça avait commencé. Et que ça allait commencer.

Rahoul soupira : son père allait encore partir dans des grandes envolées lyriques, pas forcément compréhensibles. Et il allait parler de sequse. Quel obsédé, non mais je te jure ! C'était comme ce vieux type, là, qui se mettait à saigner du nez dès qu'il voyait une fille, et qui...

Quelque chose se passa dans la tête de Rahoul. C'était quoi, cette histoire de vieux type et de fille ? Au départ, Rahoul et son père étaient des Zoms des cavernes et des bois ; et maintenant qu'ils étaient dans l'Arbre, c'était comme si, soudain, rahoul savait tout, connaissait tout, avait déjà vu et entendu des milliards et des milliards de vies, d'existences...

- Papa ? C'est quoi, cet Arbre ?
- Je te l'ai déjà dit. C'est un Arbre où tout existe. Le futur, le passé, l'irréel et le réel. Certains appellent ça l'Arbre de la connaissance. D'autres appellent ça l'histoire.
- Et toi, comment tu l'appelles ?
- Moi, je l'appelle le début des emmerdes...

Et comme Esag prononçait ces mots, la chose rose et douce et tendre qui constituait le fond de l'arbre se mit à bouger.