23.11.15

1115. Novembre en silence

Guère envie de parler, donc ; toutefois, les mécanismes et un certain sens de l'obligation - bref, voilà ce qui fut dit la semaine dernière.

1. Manuchon

est un pseudo radiophonique pour des chroniques qui se veulent légères et décalées - et si tu veux écouter plutôt que lire, c'est ici, aux alentours de la minute 26.
 


Je sais pas vous, mais moi, lundi matin, ça allait pas trop. Genre un virus ou je sais pas… alors j’ai appelé mon toubib… (sonnerie téléphone)


M : Allô, docteur ? C’est Manuchon. Dites, j’ai un truc dans le ventre, depuis deux-trois jours… ça passe pas.

Docteur : Un truc dans le ventre… comme une boule, peut-être ?

M : Oui. Et puis ça tourne dans ma tête, aussi, des pensées, comme ça…

Dr : Je vois que c’est. C’est la peur. Vous avez la peur au ventre, mon vieux. C’est naturel. Ça le fait quand votre mode de vie, vos habitudes, sont menacées.

M : D’accord, mais… je fais quoi ?

Dr : Ah bin là, soit vous la niez, soit vous luttez contre, soit vous la laissez passer. Pour la nier, il suffit de répéter « Je n’ai pas peur ». Ça changera rien, mais vous finirez peut-être par le croire. Pour lutter contre, le mieux, c’est la colère.

M : Ah bin ça a l’air pratique, la colère…

Dr : Bon après, y’a des contre-indications. Parce que la colère ça a du bon, ça vous permet de dépasser vos craintes, de fixer des limites… mais en même temps, côté réflexion, ça vous stérilise un peu la cougourde… ça peut évoluer en rage, en haine, en fureur…

M : Et ça c’est pas bien ?

Dr : Bien ou pas bien, c’est pas la question. Si vous vous mettez encore plus en danger à cause de votre fureur, ça vous ramène au point de départ. Vous aurez de nouveau la trouille. Encore plus.

M : Moi, ce que je voudrais, c’est un remède. Un truc définitif contre la peur. Que ça arrive plus jamais, quoi.

Dr : C’est pas possible, désolé. Je suis médecin, moi, je fais pas de miracle. Bon, ce sera tout, la consultation téléphonique c’est trente euros et je vous préviens, je prends pas le tiers payant.

M : Mais enfin, pour cette histoire de miracle, pour laisser passer la peur, comme vous disiez, je fais comment ?

Dr : Démerdez-vous mon gars. Voyez avec votre dieu, si vous voulez

M : Mais euh… (clic)

Putain, il m’a raccroché au nez. Alors, tant que j’avais le téléphone, je me suis dit… je vais essayer, quoi. (sonnerie téléphone).




Dieu : Allô ?

Manuchon : Dieu ? C’est vous ? Mais vous avez la voix de... * Donc, vous existez, en fait ?

Dieu : Si tu veux.

M : Non mais c’est pas moi. Vous répondez, c’est que… enfin, moi je vous ai toujours pris pour une incarnation de l’instinct d’immanence inhérent à la part d’incertitude de la condition humaine…

D : C’est comme tu veux.

M : M’enfin, c’est difficile pour une incarnation de l’instinct d’immanence inhérent à la part d’incertitude de la condition humaine de répondre au téléphone.

D : Ouais, si tu veux. Et tu me voulais quoi ?

M : Bin maintenant que je t’ai au téléphone – on se tutoie, c’est plus sympa – j’ai envie de te dire, tu fais chier, quand même ! T’as vu ce que tu laisses faire ? Et en ton nom, en plus. Quand même, c’est inhumain !

D : Ah bin non, c’est super humain au contraire. Un désir de toute-puissance qui amène à nier l’existence de l’autre et même la sienne propre, on trouve ça que chez les hommes. Très tôt, en général. Vers l’enfance. Après, c’est quand même pas ma faute si on se débrouille pour conserver certaines personnes dans cet état d’esprit.

M : Justement, c’est la faute à qui ?

D : Mais à qui tu veux, mon Manuchon. Regarde, tous les hommes politiques, tous tes potes sur facebook, même toi… vous êtes persuadés d’avoir une explication. Ou de pouvoir en trouver une. En général, d’ailleurs, elles correspondent pile poil à ce que vous pensiez avant. Je veux dire, si tu étais facho…

M : Eh, Dieu, je t’en prie…

D : D’accord, bon. Un facho va t’expliquer qu’il le savait, que c’est la faute aux arabes ; tes potes d’extrême gauche vont dire que c’est la faute du capitalisme, du gouvernement, qu’on aurait pu, qu’on aurait dû…

M : Mais enfin, c’est normal de chercher des responsabilités, des explications, des causes… pour que ça recommence pas.

D : C’est normal de chercher. C’est humain. Comme de ne pas accepter d’être mortel. N’empêche que, dans les faits, ça ne changera pas grand-chose. C’est juste comme ça que vous fonctionnez quand vous avez peur. Vous calculez le truc avec votre joli petit cerveau pour essayer d’éloigner la peur, la frustration, la colère, les sentiments désagréables.

M : T’es marrant, toi. Alors je suis censé faire quoi ? On est censés faire quoi ? Je vais quand même pas te prier – c’est pas mon genre, en plus je sais pas faire, et surtout je voulais te dire… (Clic)

Putain, il m’a raccroché au nez, ce con.



Alors je suis sorti. Je suis allé dehors. Avec ma trouille, avec ma colère, avec ma confusion. Et j’ai regardé les gens.


J’ai vu des beaux et des moches, des souriants et des tristes. J’en ai vu qui avaient l’air d’en avoir rien à foutre, des affligés, des qui n’étaient pas au courant, des qui prenaient des amis dans des bras. Il y avait aussi du soleil et des oiseaux – ils s’en foutaient, les oiseaux, eux ils faisaient les cons dans le soleil d’automne.


J’ai vu des peaux noires et blanches et bronze et café au lait, j’ai vu des cheveux noirs frisés longs courts blonds marrons et même bleu, sans parler des chauves, et des roux - putain que c’est beau une femme rousse dans le soleil d’automne, ça te ferait tout oublier,


Et j’ai entendu les voix, les voix qui disaient ça va les voix qui disaient je t’aime qui disaient je les hais il faut qu’on on doit les et si au fond nous, mais qui disaient toutes, au fond, on est humains,


Et j’ai continué à marcher, à appeler mes amis, à parler avec la peur dans mon ventre, à lui dire que voilà, c’était ça, sans doute, vivre, prier, aimer, mourir, mais exister, putain, exister.


Après, euh, j’avais toujours peur, mais j’ai repensé à mon père, qui disait que quoi qu’il arrive on était plus fort que les cons et les méchants, si tellement plus forts et meilleurs qu’eux qu’on apprendrait à leur pardonner, et à vivre encore mieux et encore plus fort – pour leur apprendre.


Depuis, j’ai pas eu de nouvelles de Dieu, ni du docteur. Je vous dirai si j’ai besoin d’eux. En attendant, je vous aime, cons d’humains comme moi.




2. Mailing list

Et puis Monsieur G., artisan de son état, avait mon adresse mail pour un devis ; il a jugé bon de m'envoyer un peu de propagande frontalement nazionaliste, avec tous ces migrants même pas de chez nous qui viennent piquer les conserves périmées de nos bons SDF bien français. Je me suis dit que j'allais lui répondre, pour une fois.

Bonjour,
comme vous me le proposez, j'ai bien regardé la vidéo en question, avec le "remontage" et les commentaires tendancieux qui vont avec.
Les situations de crise génèrent des abus, ce n'est pas une nouveauté ; des exemples ponctuels ne peuvent constituer des arguments, à moins que l'on cherche simplement à se convaincre soi-même qu'on a raison. Je pense que nous ne sommes pas du même bord politique ; mais plus encore, on m'a appris à aider les autres au-delà des origines, des croyances et des préjugés, à chercher à les comprendre et à les accepter y compris quand je ne suis pas d'accord avec eux.

C'est d'ailleurs pour cela que je prends la peine de vous répondre et de vous signifier qu'à mon humble avis la colère, la haine et le repli sur soi sont des solutions aussi regrettables qu'inefficaces, surtout quand elles jouent sur les peurs légitimes face à un monde complexe. Je vous invite donc à ne pas vous contenter d'amalgames, de démonstrations boiteuses et de slogans faciles, et à vivre pleinement dans le monde que nous partageons tous en acceptant que notre part commune d'humanité est à la fois belle, effrayante et enthousiasmante.
Je vous remercie d'autre part de m'effacer de votre liste de destinataires, et vous souhaite bonheur, joie de vivre et paix,
Cordialement


3. Et ce fut presque tout

What kills us not makes us stronger, they say
Yet I'm not dead so many times
And I don't dream of getting strong
Only of resting for a while

so tired 

(Il en manque encore un peu pour faire une chanson, d'accord, mais qui sait ?)




 

6.11.15

1114. Losing count

Feet anyway
1. Un rêve

Cette nuit près du lila,
tu boitais de la cheville droite
tu avais l'air de t'excuser
ton cancer te faisait souffrir
je t'ai dit que je te trouvais plutôt en forme

(vu qu'en fait, tu étais, comment dire - enfin, c'était passé, voilà)
 
que j'étais heureux, si heureux de pouvoir te parler
d'entendre ta voix
tu portais une combinaison de travail verte
et peut-être une cisaille
je ne sais pas ce que tu as répondu
mais ton visage,
la forme compacte de ton corps,

l'exactitude de tes mouvements, l'air autour



la nuit parfois me roule et laisse une trace sur le sable de mon visage.


2. Le type qui ne donne pas de nouvelles

mais tout va bien, et toi ?


3. Au fait, je ne sais plus si je

Moi en version jeunesse