24.2.09
615 - Mardi, je te raconte
La psy scolaire, celle que je n'aime pas parce que je la trouve un peu idiote, m'a dit il y a longtemps mais cet enfant ("cet enfant", non mais quelle dinde, comment osait-elle t'appeler cet enfant, comment osait-elle parler de toi, est-ce qu'elle te connaissait seulement ? elle aurait dû t'appeler ce cadeau cette merveille ce petit bout de bonheur au regard devenu triste) veut qu'on lui raconte son histoire.
Son histoire. Non mais quelle conne. Me demander ça à moi, qui ne vit que d'histoires. TON histoire, mon trésor ? Mais tu n'en as pas qu'une. Tu en as des millions. Tu as celles que tu décideras de t'écrire. De quel droit pourrais-je en choisir une, au risque d'en éteindre d'autres qui t'auraient plu davantage ? De quel droit pourrais-je te dire, voilà ce que tu es, alors que je n'en sais rien moi-même ?
Trois ou quatre ans plus tard, je repense à cette femme, qui avait peut-être un peu raison, au fond.
Alors voilà ton histoire.
Pour bien faire, il faut commencer au début. Ca s'appelle, techniquement, une anamnèse, du grec ana, en arrière (comme dans anaconda, qui désigne un serpent qu'il vaut mieux avoir devant que derrière), et mnèse, ce qui monte quand on l'agite (comme dans "j'ai encore raté ma mayomnèse)
Au commencement...
Au commencement était le Rien. Un rien tellement rien qu'il n'y avait aucun mot pour le dire, aucun oeil pour le sentir, aucune idée pour le voir. C'aurait pu être blanc, ou noir, ou gris, mais non : c'était tellement rien qu'il n'y avait ni couleur ni lumière. Juste un gros vide avec rien autour.
Certains pensent que le vide s'appelle le Néant - ils ont l'air tout triste, boivent de la bière dans des bars enfumés en parlant de Franz Kafka (un mec qui écrit des histoires d'horreur où les gens se transforment en cafards). On les appelle des nihilistes, peut-être à cause des moments où ils disent "nihidieu nihimaître". En général, ils ne survivent pas longtemps à leur propre désespoir, et dépassent rarement le stade de l'adolescence. Ou alors, ils se mettent à écrire des choses du genre "L'existence est un passe-temps rédhibitoire", on les publie dans de gros livres et ils finissent leurs jours dans une chaise longue au soleil, un chat sur les genoux, à se souvenir des bars enfumés.
D'autres pensent que le vide s'appelle Dieu. Ils sont très agités (mais calmement), ils sourient d'une manière un peu inquiétante dans des lieux qui sentent l'encens et le vieux tissu. L'avantage, c'est qu'ils savent tout, ils peuvent te raconter le vide comme s'ils y avaient participé. On ne les appelle pas : ils viennent tout seul, sans que tu leur demandes. Parfois, ils frappent à la porte en costume noir, ils disent qu'ils ont une bonne nouvelle à annoncer, et tu ne comprends pas pourquoi je referme la porte en disant que j'ai du boulot, merci. En général, ils se regroupent en grands troupeaux, restent paisibles jusqu'à ce qu'ils décident d'aller foutre sur la gueule d'un autre troupeau qui prétend mieux savoir la forme qu'avait le vide.
D'autres enfin, pensent que le vide s'appelle Moi - ils se disent que leur cerveau ne peut pas tout comprendre, qu'ils ont été, avant d'exister, un ovule et un spermatozoïde parmi des millions d'autres, sans compter que cet ovule et ce spermatozoïde provenaient d'un homme et d'une femme eux-même issus de millions de spermatozoïdes et d'ovules qui... bref, ceux-là se disent qu'ils ont été le Vide, et ils ne se la pètent pas pour autant. Ils sourient, versent quelques gouttes d'huiles essentielles dans une tasse et nourrissent les poissons rouges.
Mais ces trois catégories de personnes ont un point commun : ils croient qu'après le vide s'est produit quelque chose.
Je te raconte ça la semaine prochaine.
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3 commentaires:
J'attend la suite avec impatience, en trempant ma biscotte dans ma tasse de ylang ylang
j'aime bien "nihidieu - nihimaître". et j'ai hâte de lire ton big-bang. Enfin, le sien.
Tu me fais aimer le mardi. Avant, le mardi, c'était nul. Comme les autres jours.
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