30.11.07

Grosse fatigue

Il y a la fatigue de l’hiver, celle de trop de projets qui s’enchaînent ou se chevauchent, celle du travail au quotidien (même si, par la grâce des dieux de l’Art, le quotidien dans sa routine nous est généralement épargné), celle des soucis ordinaires liés à nos proches… et puis il y a la fatigue que l’on s’inflige en soulevant ce problème qui nous paraît crucial des différences qui nous opposent encore l’un à l’autre, nous renvoient dos à dos, nous retournent et nous mordent jusqu’à la colère. Et surtout, jusqu’à deux heures du matin.

Bon, j’admets, c’est surtout moi. Je prends tout à cœur (à corps aussi) et je choisis mal mes heures pour la palabre. C'est que que j’ai peur des serpents, moi, des maux larvés qui grandissent jusqu’à ne plus pouvoir sortir, et finissent dans le non-dit, le on-va-faire-avec, le c’est-pas-grave-ça va-passer. Et ça passe en effet, ou ça s'en donne l'air : on ne sait plus mettre de mots sur tout ce qui nous mine, mais c’est là quand même, lourd et sans nom, ça continue de grossir et ça finit par éclater, ça en fout partout, ça fait du bruit, du sang et des larmes, ça n’est pas beau à voir…

C’est pour ça que moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier, ou alors je refuse! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau, si j'ai été bien sage.

Si ma mémoire ne me trahit, c’est l’Antigone d’Anouilh qui criait cela.

Et c’est vrai qu’elle était fatigante pour son entourage, Antigone.

N’empêche que c’est mon héroïne.

Mais que pour mon héros (et dieu sait qu’aujourd’hui le héros est fatigué !), je vais la mettre un peu en sourdine, ma pasionaria.

Tenez, je lui laisse trois jours pour se reposer, à mon héros. Trois jours sans moi, sans questions, sans harcèlement. Et trois nuits.

Bon, d’accord, je triche : nos activités nous appellent chacun de notre côté…

Et sinon, il paraît qu’on va passer à la télé.

Mais on a le temps d’en reparler...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme elle avait raison, Antigone. Elle avait compris ce que c'est que de vivre et d'aimer. Pas d'économie, pas de pourcentage, pas de demi-mesure, pas de prétexte, ou de justifications oiseuses et super-confortables, un genre de foutage de gueule qu'on pourrait appeler "poly-fidélité" !

Manu Causse a dit…

mmmh... l'histoire d'amour unique, monstrueuse, exigeante, alors ? La passion - comme dans "souffrance", l'exaltation, l'intransigeance élevée au rang de principe ?

J'avoue que l'idée est séduisante.
Mais Antigone n'allait pas faire les courses avec Hémon au supermarché ; Antigone se croyait libre parce qu'elle enfreignait les règles, mais ne vivait finalement que par rapport à celles-ci.

Antigone avait compris ce que c'était vivre et aimer. D'ailleurs, elle en est morte.

Faut voir, quand même.

Aimer, vivre, partager. Se laisser porter par les courants plutôt que par une liberté aussi illusoire qu'égoïste.

Si, si. Polyfidélité.
Laisser les morts où ils sont, dans un coin de la terre et dans un coin du coeur. Se dire qu'aimer est la seule chose qui vaille.

Antigone, tu veux que je te dise ? C'est une héroïne adolescente qui a toujours inspiré des hommes mûrs.

Moi, je préfère les personnages de Colette, capables de goûter la beauté du monde sans en faire une tragédie.

Comme des oiseux, peut-être. Ou comme des oiseaux.

Cui, cui.

Anonyme a dit…

Antigone est morte ???
Mince alors !
Morte d'avoir vécu, sans doute, volatile comme nous tous.
Mais foin des références littéraires, nous ne vivons pas dans les pages d'un livre, mais dans les bras, le coeur et le ventre d'un homme ou d'une femme.
L'amour et la fidélité n'ont rien de tragique, sauf quand ils nous font faux bond, quand ils nous inquiètent, quand ils ne sont pas entiers, donnés, offerts sans effort.
Je ne juge pas, je m'étonne, je cherche à comprendre comment on peut opposer l'amour et la liberté, alors qu'ils existent pour se compéter. L'un sans l'autre boite et souffre, comme un chien de misère sur un chemin caillouteux.
Ouaf, ouaf

Anonyme a dit…

Vouloir tout et tout de suite, c'est un moteur, quand même, surtout pour la jeunesse. C'est le moyen de pas accepter d'être une génération sacrifiée, ça donne de l'espoir au monde. Mais rendu dans la vie, t'as sans doute raison, Colette et ses héroïne ont plus de chance de survie, et plus de générosité peut-être aussi. Toujours aussi sympas, ce blog. J'y ai même décelé l'accent, cette fois. Tu étais à Montreuil au salon, ces jours-ci, si j'ai bien compris ?...

Manu Causse a dit…

J'y suis demain, en fait, pour signer mes romans bilingues - mais je n'ose jamais trop l'autopromo, je trouve que ça fait égocentrique... alors que parler de mon âme et de mon cul me gêne moins, va savoir pouquoi.

Pour Jonas : accoler amour et liberté (sans parler de liste des courses ou de personnages antiques) me semble idéal, oui. Dans la longue discussion conceptuelle que nous avons eue avec Princesse à la suite de ton mail, nous en sommes venus à comparer la polyfidélité et l'amour libre (au fait, merci à toi de nous avoir fourni un sujet de conversation qui a fort bien accompagné les bières et les rhums d'hier soir).
Mais, comme le disait Cédric Gomez à ce sujet, où est la liberté quand tu fais souffir l'autre, ou que tu te fais souffrir ?
Pour Princesse, cette idée de polyfidélité (mais tu me pardonneras si je me trompe, mon amour) est à l'origine de sentiments amers ; pour moi, elle est au contraire ce qui permet de mettre un nom sur l'amertume.
La peur de perdre l'autre, de ne plus être "préféré", d'être abandonné est présente, chez moi comme chez elle. Et si l'on s'assurait une bonne fois pour toutes que - come what may - on restera fidèles chacun à l'idée qu'on se fait de nous-même et à la beauté intérieure de l'autre ?

Bon, bin moi qui ne voulais pas poster ce matin, me voilà en train de théoriser un truc dont je ne suis toujours pas certain...

En tout cas, merci à nouveau pour le coup de gueule, Jonas : ça aide parfois à penser.

Allez hop, je fais mon baluchon et je pars pour la crapitale ; priez tous pour que je puisse y intéresser quelques éditeurs à mes projets amoureusement emballés - dont surtout, surtout la traduction de Lila de Robert Pirsig...

Bon ouikend

Anonyme a dit…

Oh non, pas d'amertume, mais de la peur - celle de souffrir - et une certaine incompréhension, dans la pratique en tout cas : peut-on partager l'amour, cet amour-là? Sans rogner, par ci-par là, sur ce que l'on donne à chacun? Sans souffrance, ni pour soi ni pour les autres?
Moi je sais aimer plein de personnes à la fois, mais il y a un amour particulier qui n'est qu'à moi, et qu'à toi. C'est une fidélité qui, comme le dit Jonas, n'a rien de tragique, puisqu'elle n'implique pour moi aucun renoncement...