3.2.08

Peut-on (mou)rir(e) de tout ?


- Je suis malheureueueueueuse !

- Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?

- Malheureueueueueueueueueueuseeueueueuh !

- Tu peux gémir moins fort ? Qu’est-ce qui t’arrive, encore ?

- Lui et moi, on s’est disputés. Il a crié. Il a dit des gros mots. J’ai eu très peur, et beaucoup de peine.

- De la peine pour des gros mots ? Mais il en dit tout le temps…

- Mais non, c’est pas ça (et arrête de mettre de la cendre sur mon clavier… d’ailleurs, avec ce que tu tiens, tu ne devrais pas fumer), c’est parce qu’il était vraiment très fâché, c’était comme la fin du monde, pour moi. Et puis après, il est parti.

- Ben oui, il avait rendez-vous, tu ne vas pas en faire une montagne, non ?

- Tu ne comprends pas. Il est parti, et on n’a pas eu le temps de se réconcilier.

- Il t’a dit qu’il t’aimait.

- Oui, mais non. Parce qu’après, il m’a envoyé un mail qui finissait par « bon week end », et c’était comme une formule administrative, et puis il m’a appelée par mon prénom, et même pas « mon amour », ou « trésor » ou « princesse ».

- Tu ne crois pas que tu exagères ?

- Mais non, je te dis. Surtout qu’après, je l’ai appelé, et il n’avait rien à me dire.

- Il avait peut-être besoin de temps pour réfléchir.

- Justement, ça me fait peur, quand il réfléchit. Il doit sûrement se dire qu’il est temps de couper les ponts avec ce boulet. Enfin, la chaîne. Et moi, après, qu’est-ce que je vais faire ?

- Te jeter d’un pont ?

- Tu n’as pas de cœur.

- Si, le même que le tien jusqu’à la preuve du contraire. Sauf que moi, en plus, j’ai une tête. Qui me dit que ce n’est pas la fin du monde. Des types comme lui, il y en a plein. Personne n’est unique. Sauf toi.

- Sauf nous, alors. Et ça fait deux, et ta théorie ne tient plus. Et puis d’abord, tu dis n’importe quoi : il est unique, et avec lui je me sens unique.

- Ouais, eh bien vu l’image lamentable que tu donnes maintenant, c’est pas dommage.

- Mais c’est parce que je suis malheureueueueueueuse !

- Tu ne vas pas remettre ça ? Pourquoi tu ne l’appelles pas, d’abord ?

- Mais parce qu’il n’a pas envie ! Il veut être seul, se ressourcer à son portable, dormir chacun de son côté, tout ça…

- Prendre un peu de recul ? De l’élan pour mieux sauter ?

- J’aime pas quand tu es vulgaire.

- Pour quelqu’un qui prétend avoir du cœur, tu as plutôt l’esprit mal placé. Tu vois très bien ce que je veux dire.

- Bon, d’accord, mais quand même : une fois qu’il l’aura pris, ce recul, qui dit qu’il voudra avancer de nouveau ? Et dans la même direction que moi ?

- Parce que tu crois que tout ce que vous avez vécu ensemble, inventé, projeté, construit, ça s’oublie en deux jours ?

- Peut-être que je suis allée trop loin…

- Pourquoi ? Tu as fait quoi, exactement ? Tu l’as énucléé ? Emasculé ? Tu lui as fait une scène dans la rue en déchirant tes vêtements et en le traitant de proxénète machiste ambitieux et mégalomane ? Tu as appelé sa mère en lui disant que son fils était un bon à rien et qu’il élevait clandestinement des couturières nord-coréennes mineures dans une cave ?

- Arrête, c’est pas drôle. Si tu souffrais autant que moi, tu la ramènerais moins.

- Bon, calme-toi. Tu te fais du mal. Attends que ça passe.

- Mais non, je ne peux pas, je souffre trop, attendre c’est la pire des choses !

- Alors je ne sais pas, moi, occupe-toi en attendant. Tu n’as pas des enfants ?

- Ils sont couchés.

- Un roman à écrire ?

- J’ai pas la tête à ça.

- Mettons le cœur. Puisque tu n’as pas de tête.

- Oh là là ça fait maaaaaaal !

- Encore ? Tu ne veux pas essayer de prendre ça à la légère ? Te dire que c’est un de ces mauvais moments que traversent tous les amoureux, et qu’il n’y a qu’à en rire ?

- D’abord, amoureux, il n’aime pas. C’est comme couple, ou compagne. Ça prouve bien qu’il ne veut pas de moi.

- Vous faites chier, tous les deux, avec votre vocabulaire à la con. Tu l’aimes, il t’aime. C’est pas un bon départ, ça, même si de temps à autre vous vous aimez de travers ?

- C’est surtout qu’à l’arrivée, on ne sait plus où on est. Moi, en tout cas, je suis paumée. Et malheureueueueueueueuse, si tu savais !

- Je crois que je commence à avoir une idée, oui. Tiens, reprends un Kleenex.

- Et puis je vais avoir le nez tout rouge et les yeux tout gonflés et il va me trouver moche quand il reviendra. S’il revient.

- Oui, remarque, vu ta tronche en ce moment, mieux vaut qu’il ne revienne pas. Tu ne ressembles à rien.

- Vous êtes tous trop méchants ! et moi je suis trop …

- Malheureueueueueueueuse, oui, j’ai saisi l’idée générale.

- Ah, tu vois.

- Mais tu sais, il y a une solution.

- Ah bon, tu crois ?

- Bien sûr. Si tu souffres tellement avec lui, tu n’as qu’à le quitter.

- Le quitter ? Tu es sérieuse ?

- Bien sûr. Tu ne serais pas la première. Et mieux vaut être seule que mal accompagnée.

- Je te déteste quand tu dis des conneries pareilles.

- Pourquoi des conneries ? Sérieusement, si tu es aussi malheureuse que tu le dis, tu n’as qu’à en finir.

- Et faire quoi ? une dépression ? C’est ça que tu proposes ?

- Retourne chez ton ex. Tu sais qu’il n’attend que ça.

- C’est pas un peu fini, non ? D’abord, mon ex, je ne veux plus vivre avec lui. Je l’aime beaucoup, mais franchement, j’ai d’autres priorités dans la vie. Dans ma vie.

- Comme quoi ? Te lamenter parce que tu traverses une crise avec ton amoureux ?

- Je ne me lamente pas, je souffre.

- Pour ce que ça change.

- Tu n’y connais rien, toi, avec ta tête.

- Et toi, avec ton cœur, tu n’avances pas.

- On n’est vraiment pas faits pour vivre ensemble.

- Qui ça, vous deux ?

- Mais non, nous. Toi et moi. Ta tête et mon cœur, quoi.

- Je ne sais pas. Moi, ton cœur, il arrive quelquefois à toucher ma tête.

- Tu es drôlement souple. Moi, ta tête, eh bien, je ne sais pas…

- Tu ne peux pas la voir, c’est ça ?

- Mais si. En fait, je l’aime bien. Elle est toujours en place, sur nos épaules. Ça fait un point de repère.

- Bon, alors on continue, nous deux ?

- On va essayer.

- Tu n’es plus malheureuse ?

- Bien sûr que si. Mais comme tu me fais rire, ça va aller. Mais ne me laisse pas, hein.

- Et lui, tu crois qu’on peut le faire rire ?

- Ça dépend du niveau de ressourçage, ça prend du temps, ces machins-là. Mais on va essayer.

- D’accord, on tente le coup.

- En attendant, je vais prendre un bain.

- Moi aussi.

- Pas trop chaud, hein. Après, j’ai le cœur qui fond.

- Et moi la tête qui fume.

- A ce propos, n’allume pas cette cigarette.


...En attendant, quelqu’un a du Tranxene ? (donne le tube, va...)

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