14.2.08

Hey you ! Don't watch that !

Watch this...


Non, je sais, j'ai pas posté de tout hier, on me l'a amèrement reproché... mais c'est que je suis occupé, voyez-vous. Occupé à recopier des carnets où il y des choses comme ça :




La petite fille

Nous passions elle et moi près d’une petite école – grillages, fenêtres et préfabriqués ; pointant son doigt à travers le pare-brise, elle me dit :

- Regarde : là est la petite fille que je fus.

La formulation me sembla étrange ; je suivis du regard la direction que son doigt m’indiquait.

La femme de ma vie a des manières charmantes, des élégances et des coquineries qui me surprennent et me captivent. Elle les prononce d’une voix douce, presque étrangère (bien qu’elle ne le soit pas), une voix qui inexplicablement me fait penser à des mitaines – oui, des mitaines, ne me demandez pas pourquoi ; elle a quand elle parle des grâces de chat, qui tissent un délicieux contraste avec sa sensualité brutale et franche. L’entendre parler, à la sortie du rond-point d’une banlieue banale, de l’enfant qu’elle avait été, me parut dans l’instant une des ces arabesques verbales dont elle me fait parfois le cadeau.

Mais elle insista :

- La petite brune, là-bas, avec un pull rose ; c’est elle, l’enfant que je fus.

Et pendant que la voiture glissait, le moteur presque éteint, de ralentisseur en chicane, j’essayais à la fois de distinguer la fillette dont elle me parlait parmi le groupe derrière le grillage /je n’avais jusque-là pas remarqué que la cour de récréation abritât des élèves, et mon esprit, tiraillé entre la conduite en ville et l’affirmation saugrenue de ma compagne, ne m’informa que bien plus tard que nous étions en pleine période de vacances scolaires, et que par conséquent la présence elle-même de ces enfants était anachronique/ et de comprendre en même temps le sens de son affirmation.

Avant que le mur d’enceinte de l’école, à mesure que ma petite voiture dévalait la rue, ne me masque la scène, j’eus le temps de distinguer derrière le grillage une gamine au pull rose dont le visage présentait – pour autant que je puisse en juger à distance – quelques points de ressemblance avec celui, familier et pourtant toujours auréolé de mystère, de ma compagne.

Puis je ne vis plus rien ; je reportai mon regard sur la rue tranquille, où seule la couleur bleu foncé des plaques (les rues du quartier, si ma mémoire est exacte, portaient des noms de fleurs ou de marins célèbres) créait une impression de profondeur et de distance – le reste du paysage étant indifféremment composé de tuf, de béton et d’enduits couleur crème.

D’un coup de volant, j’évitai le rebord d’un trottoir ; non seulement mon attention était distraite par les mots incongrus de ma passagère – qu’elle ne semblait pas, d’ailleurs, avoir l’intention d’expliquer davantage – mais l’ensemble des rues et des intersections de cette zone résidentielle donnait l’impression d’avoir été conçu dans le seul but de faire ralentir les voitures

· soit, comme c’était probable, pour protéger les écoliers et les mères de famille (malgré l’image que je venais fugitivement d’en avoir dans la cour de récréation, j’en comprenais mal la présence dans un univers aussi dénué d’humanité),

· soit – et c’était l’hypothèse qui me venait le plus spontanément à l’esprit – pour retenir de force les rares voyageurs qui, comme nous, traversaient par hasard cette banlieue perdue.

Crèche, Centre sportif, ANPE : les panneaux n’affichaient que des mentions strictement utilitaires, des repères administratifs, comme si on avait refusé de donner la moindre indication ayant trait aux vraies directions du monde, au point que j’en venais confusément à douter de son existence.

- Gare-toi là, mon amour, me dit-elle d’une voix douce.

Tout d’abord, je ne compris pas : nous n’avions je le sais aucune raison de nous arrêter – la rue où nous venions de nous engager (qui dans mon souvenir porte le nom d’allée des Marguerites ou d’avenue Magellan) ne présentait pas la moindre place où se garer, chaque mètre de trottoir étant réservé aux bouches des portails clos devant les pavillons aux rideaux épais.

Je ralentis encore et tournai la tête vers elle, quêtant une explication.

Elle ne me regardait pas : ses yeux, que j’aimais tant, restaient rivés au rétroviseur.

- C’était moi. La petite fille.

- Mon amour que veux tu dire ?

Elle secouait la tête, comme pour se débarrasser d’une image entêtante ; j’aurais pu jurer qu’elle ne m’avait pas entendu.

- Ma grand-mère avait tricoté ce pull-over rose. C’était un des derniers vêtements qu’elle m’ait fait, je crois ; le printemps suivant, une attaque cardiaque l’a privée de ses mains. Sur le moment, je m’en souviens, je me suis sentie libérée. J’avais fini par détester les vêtements qu’elle me fabriquait – toujours un peu trop grands, aux couleurs sages. Je rêvais en secret des t-shirts courts de mes copines – les t-shirts du monoprix que des flocages rendaient brillants. »

J’aurais voulu objecter que le souvenir qu’elle déroulait auprès de moi (je dis auprès, car j’avais déjà bien conscience qu’elle ne s’adressait pas à moi, pas plus qu’on ne croit que celui qui parle dans son sommeil cherche à engager une conversation), même s’il lui avait été évoqué par la scène fugitive dans la cour de l’école, ne pouvait en aucune façon lui être relié de façon tangible ; j’aurais voulu lui avouer que cette fois, malgré tout le plaisir que je prenais à sa conversation, malgré les approximations charmantes et les traits de poésie authentiques qui me faisaient adorer les mots sortis de ses lèvres, je ne parvenais pas à comprendre ce qu’elle était en train de me dire.




Pfff, y'a plein de pages, à ces carnets... j'arrête ici pour aujourd'hui.

En plus, SLP m'a coaché sur le retapage, et j'ai un truc à dire, c'est qu'elle est nettement pire que Chuck "Ironfist" Cottonhouse...

Une bise spéciale aux amoureux qui ont la gueule de bois, et à ceux qui se foutent éperdument de la St Valentin, parce que c'est tous les jours la fête avec leur amoureuse, bordel.

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