23.1.10

817 - Caractère analytique


1) Psychologie du pauvre

Le pauvre habite dans un pavillon récent, dont les cloisons de placoplâtre sont peintes aux couleurs vives ; dans son bout de jardin clôturé, des jouets pour enfants et un salon en plastique. Le pauvre vit avec 2 à 6 enfants - dont les prénoms ressemblent à Kevin, Joris, Dylan, voire Foufouna - et possède un écran plasma, quelques ordinateurs ou consoles, et parfois une voiture récente et relativement luxueuse. Economiquement, le pauvre n'est pas si pauvre que ça ; mais on reconnaît qu'il est pauvre à sa psychologie épaisse ainsi qu'à son accent.

Car le pauvre a un accent. En général, un accent du Nord, du ch'ti épais à la grammaire valsante et au juron fleuri. "Foufouna, putan, j't'ai djô dit qu'y faut qu'tu vôs ranger tô chombre !"
Il arrive également que le pauvre ait un accent du Sud - en général proto-marseillais, ce qui donne "Oh puté, Dyla-in, je veux pus que tu fais p'eurer ta mèreu, con, c'est la dernièreu fois je te garatis").

Le pauvre, donc, s'exprime mal ; et le pauvre souffre, puisqu'en raison de son accent, il ne peut exprimer ses émotions et sentiments. Ou alors si, mais avec une musique de fond et un cadrage type photomaton, qui s'oppose aux scènes familiales de conflit rejouées au ralenti (avec un effet couleur/NB s'il vous plaît).

Parce qu'heureusement, le pauvre - le pauvre psychologique, s'entend, car le pauvre économique passe moins bien à l'écran - a la chance de se voir offrir une psychothérapie, ou du conseil, ou du coaching, ou n'importe quelle forme à la mode de self-help, par ce grand pourvoyeur d'égalité devant la souffrance qu'est la télévision.

Ainsi, grâce à la voix off qui souligne le merdier relationnel qu'est sa vie, le pauvre apprend à changer ; à s'exprimer, à écouter les autres ; le pauvre guérit, miracle, sous les reconstitutions clinquantes de la télé-réalité.

Aux petites heures, hier soir, alors que j'attendais vaguement le retour d'E. en goguette, j'ai vu successivement un pauvre qui avait tout sacrifié à sa passion pour Johnny H. ; une pauvre qui menait sa famille à la baguette, et ne supportait pas la moindre miette sur le carrelage de sa cuisine Hic&A ; j'ai craqué quand deux pauvres se traitaient mutuellement de connard et de ta gueuuuul' parce qu'ils ne pouvaient plus dire qu'ils s'aimaient.

Oh, loin de moi l'idée de critiquer. On a tous nos problèmes, même si on ne choisit pas toujours une chaîne immobilière pour les résoudre ; et franchement, cela me rappelle, quoique de façon caricaturale, pas mal de bouquins de développement personnel sur lesquels j'ai pu bosser.

Mais hier soir, avant d'aller oublier tout ça au fond de mon lit, je me suis dit qu'il manquait quand même une composante essentielle pour que cette télé-réalité soit autre chose que de la réalisation télévisuelle.
Le rire, bordel.

Car il est bien pauvre celui qui ne sait pas rire de lui-même ; bien pauvre s'il ne peut comprendre quand on se rit de lui.

Et, d'accord, j'arrête de regarder les chaînes commerciales. Bientôt.

2) Father
En plus du match de rugby, et du concert qui devait suivre, il y avait hier soir grande première : Anton et Zadig, mes chéris, passaient leur première soirée seuls à la maison.
Bardés, rassure-toi Mamie, de numéros de téléphone et de voisins bienveillants.
Nous en avions parlé avant, c'était pour eux une aventure. Anton, en particulier, se sent pousser des ailes en ce moment.

Sur le coup de 22 heures, extirpant mes crampons de la boue, j'ai eu au téléphone la petite voix de Zadig. Anton dort, j'ai un peu peur.
C'est normal, mon loulou, endors-toi dans mon lit.

Fourgonnette, boulevard, parking du théâtre ; De Manha* se préparaient, les potes au rendez-vous. J'ai avalé une minuscule bière (celle de la victoire, ayant sauté l'apéro-débriefing où nous aurions achevé de chambrer ces sympathiques enculés d'en face, incapables de perdre sans mettre des bouffes) quand le téléphone, dans ma poche, a vibré.

Papa, j'ai très peur, tu sais.

Demi-tour contact ; pas de bossa ce soir, pas de soirée à féliciter les potes. Rentrer entre les feux pour serrer mon Zadig dans les bras.

Ses yeux étaient un peu rouges, mon presque grand, mon bébé qui se voudrait ado, mon trésor au touffet.**
Dors. Papa est là. Tu as bien fait d'appeler.

Et avant de me coller devant la télé et ses émissions téléréalistes, je me suis dit qu'il ne pouvait pas me faire plus grand plaisir, mon fiston, que de me dire qu'il avait encore un peu besoin de son père.



* Session de rattrapage ce soir samedi, toujours au théâtre du Pavé, dont au sujet duquel vous avez un chouette reportage ici.
** Touffet : terme technico-occitano-familial désignant les bouclettes de mon Zadig depuis l'enfance.

1 commentaire:

Zoë Lucider a dit…

T'as bien fait de revenir. Bon, la télé n'était pas à la hauteur de ton sacrifice, mais l'est-elle jamais :-)