16.12.08

Est-ce que tu as vraiment envie de lire ça ?


Et ces temps-ci, chaque fois qu'il écrivait, c'était pour parler d'autres femmes – ou à d'autres femmes. Pour leur dire qu'il les avait aimées les aimait, qu'il les attendait n'attendait d'elles qu'un signe (c'est en tout cas ce qu'elle lisait entre les lignes, et dans ses yeux).

Un signe pour quoi ?

Il disait qu'il le fallait, qu'écrire ces mots le libérait.

Elle disait oui, qu'elle comprenait. Elle ne mentait pas. Mais la compréhension ne chassait pas la souffrance, n'excluait pas le doute. Car pendant qu'il rêvait à d'autres, les déjà prises, les pas encore conquises, que devenait-elle sinon une ombre, une sorte de fantôme qu'il projetait lui-même dans un purgatoire qu'elle détestait, qui sentait comme un couloir d'hôpital, une odeur qui lui donnait la nausée ?

Mais attendre - que pouvait-elle faire d'autre ? Elle sentait parfois monter la colère, des reproches au fond d'elle voulaient sortir qui criaient qu'il n'avait pas le droit de la suspendre ainsi à ses doutes à lui, qu'elle n'avait rien à voir avec ça - et elle s'en voulait avant tout à elle-même pour ne pas savoir s'empêcher de souffrir, ou tout au moins de le montrer.

Le plus difficile, c'était peut-être de ressentir cette admiration pour lui qui osait dire écrire et parfois faire les choses. Les choses de tous les jours, les choses évidentes bien sûr, mais surtout les choses qui ne se disent ne se font pas. Elle pensait que c'était beau, vraiment, beau comme de l'art, une beauté certes contestable dans sa forme, mais indiscutable au fond. Ce qu'intellectuellement elle admirait lui tordait pourtant le ventre, et l'ensemble formait un étau serré dont elle ne parvenait pas à sortir.

Elle aimait et détestait l'idée qu'il puisse lui échapper. Elle était fière de penser qu'elle n'avait pas plus de droits sur lui que sur n'importe qui d'autre, et ce fait cependant pouvait la rendre malade.

Elle se calmait parfois en se disant qu'il n'avait rien fait de mal, et elle non plus. Qu'ils ne s'étaient rien dit d'irréparable. Qu'elle se trompait en croyant voir, ces derniers jours, sur son visage ou dans ses yeux, de la tristesse ou des regrets. Qu'elle avait tort d'insister pour savoir s'il allait vraiment bien, qu'il fallait être raisonnable et qu'au fond, oui, tout allait bien.

Qu'il avait cessé de penser à celle qui l'avait rejeté, celle à qui il avait écrit pensé parlé une bonne partie de la semaine. Elle parvenait à se convaincre qu'il n'était pas amoureux d'elle.

Elle devait évidemment se concentrer sur le bonheur qui l'avait saisie lorsqu'ils s'étaient demandés en mariage. Se persuader qu'ils allaient le faire, vraiment. Quand elle y pensait elle souriait, dans sa tête elle éclatait de rire, elle trouvait ça tellement beau, sans vraiment s'expliquer pourquoi. Une marque de confiance en soi, en l'autre, en l'avenir. Juste ça. Pas une entrave pas un boulet pas des clichés pas des bagues. Un truc entre eux, qu'ils seraient au final les seuls à comprendre vraiment.

Et pourtant tous ces doutes. Est-ce que tout cela pouvait cohabiter ? Étaient-ce les doutes qui avaient amené cette question du mariage, ou le mariage qui avait soulevé les doutes ?

Elle se donnait généralement tort : après tout, c'est elle qui avait dans le cœur un schéma de midinette où il n'aurait eu d'yeux et de pensées que pour elle, où il aurait pu trouver belles d'autres femmes sans que jamais elle s'en sente diminuée, où le doute n'avait pas de place.

Au plus fort de ses souffrances, quand elle avait relu tout ce qu'il leur avait écrit, à ces femmes, elle laissait monter l'envie de lui faire mal, à lui. Elle cherchait comment, trouvait difficilement, il y avait peu de moyens, finalement. Il ne lui avait jamais laissé entendre qu'elle avait ce pouvoir sur lui. Elle s'en sentait plus faible encore, sur ce plan la relation lui paraissait terriblement inégale.

Elle pensait qu'elle allait simplement profiter de ce qu'il s'était échappé quelques heures pour partir, elle, sans un mot, sans bagage. Elle ne donnerait pas de nouvelles, et il ne saurait jamais ce qui lui était arrivé. Elle se disait que de toute façon, c'était la seule façon de bien quitter quelqu'un – y compris, peut-être, soi-même.

Et juste après, elle se disait que son ventre avait beau continuer à lui faire mal en sourdine, son cœur battait quand même. Il battait pour tout ce qui bougeait et voulait bouger autour d'elle, pour les choses passées et pour celles qui venaient, pour les hypothèses, les plans sur la comète, les châteaux en Espagne, les projets béton, les inventions de toutes pièces, les croyances, les échecs, les succès, les douleurs et le plaisir. Elle pensait que son cœur n'avait jamais battu pour autant de choses à la fois, que c'était bon, et qu'il y était pour quelque chose.

Elle pensait qu'elle avait envie qu'il revienne (et peur : elle avait peur qu'il ne sourie pas en rentrant). Qu'elle aurait envie de lui dire tout ça. Qu'elle n'y arriverait pas.

Tant pis, elle le lui écrirait.

PS : elle a aussi oublié de dire qu'en finissant cette page, elle sent à quel point elle l'aime et qu'elle a envie de passer sa vie avec lui, pour le meilleur et pour le pire, mais avant tout pour le meilleur parce qu'elle se sent bien armée pour ça, et qu'elle espère qu'il en est de même pour lui.


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