24.10.06

Getting to know each other....




Préparatifs, jour 1…


Vous avez remarqué qu’on connaît déjà mieux quelqu’un quand on voit ce qu’il y a dans ses courses – ou si on fait ses courses avec lui, ou si on fouille son frigo, ou sa cuisine ?

D’accord, c’est impoli ; mais on en reparlera.


En attendant, puisqu’il s’agit de faire connaissance avec moi-même, voilà la liste des courses (si je peux, je vous fais un document photo) d’aujourd’hui.

Frisk menthe tripack…. 2,48

Commentaire : bouh c’est cher. Mais toujours moins que des cigarettes, non ? En tant qu’ancien fumeur, je redoute par-dessus tout cet inconvénient bien connu des consommateurs de nicotine (et des adeptes de la terrine au sanglier) qu’on nomme l’haleine de chacal. Donc, j’aime me rafraîchir la bouche avec des trucs un peu explosifs, genre stimorol (mais les chewing-gum, c’est vite lourd) ou Fisherman’s Friends, qu’un ami appelle élégamment ses croquettes pour chien.

De toute façon, c’est un achat d’à côté des caisses, par définition ça ne compte pas comme une dépense (puisque tu as déjà passé la ligne d’arrivée, c’est plutôt une récompense...)

Frisk white menthe douce…. 3,03

Commentaire : boula mais c’est encore plus cher ! Tout ça parce que c’est nouveau, tiens, rrrahhhahaha les s…. oups, pas de gros mots sur le blog. Mais même remarque que précédemment.

A part ça, un truc : là, pour l’instant, je retape le ticket Leclerc parce que je ne trouve pas le câble du scanner, que j’ai dû ranger par là… Mais dans un temps prochain, la technologie va se mettre en place et vous verrez de vos yeux la réalité réelle de ce papier. Bande de veinards.

Ensuite, dans un futur plus trumanshowesque, vous pourrez peut-être même vous tenir au courant heure par heure de ce que j’achète ; si on goupille bien le truc avec les p’tits gars de la technique, vous pourrez même voter en direct sur « vaudrait mieux que t’achètes ça » ou « vaudrait mieux que tu l’achètes pas » (prix de 12000 sms + appel local). Ce qu’il y a, c’est que je m’en foutrais éperdument, mais au moins vous aurez exprimé votre opinion…

Bon, on avance, sur cette liste ? On n’a pas que ça à faire.

Sac Poubelle NF 3OL x 25 ELEMBAL…

Ça c’est de la marque…. Rien à dire, à moins qu’un écolo me donne une meilleure solution que le sac poubelle plastique à poignée… même pas regardé le prix, c’est dire…

Banane ECO +

Tiens, en parlant d’écolo… J’ai passé cinq minutes à choisir chaque fruit et légume du jour (ça tombe bien, j’avais le temps), tout ça pour me taper la marque la moins chère et pas certifiée du tout, et pour me demander s’il valait mieux prendre les

ORANGE MAROCLATE 2 KG ECO +… 2,90

en provenance d’Afrique du Sud ou celle en provenance d’Argentine… j’étais bien ennuyé, tiens, en tant qu’éco-citoyen … Je les aurais bien prises du jardin (mais même à Toulouse c’est pas facile) ou chez un primeur pour éviter de consommer des fruits qui ont coûté les trois-quarts de leur prix en pétrole, mais… il aurait fallu que je redémarre ma jolie Ford une fois de plus, ce qui, d’après mon vieux père, consomme à chaque fois un bon demi-litre de gas-oil… Faudrait qu’un spécialiste me fasse le calcul, mais là j’étais en plein écodilemme… Donc, j’ai pris les Argentines, parce que j’aime bien les types qui chassent les autruches en s’interpellant en espagnol châtié avec des pantalons ridicules (et si vous voulez me prouver que l’Argentine ne ressemble pas à ça, aucun problème : offrez-moi le voyage).

Ceci dit, c’est bien pratique, ces filets, plutôt que de peser chaque fois les abricots qui tombent sur le plateau où le gamin d’à côté vient d’essuyer son nez, tout ça pour se rendre compte en caisse qu’on a oublié de peser le fenouil (au fait, je vous ai parlé de Fenouilh ?) et que non, les melons cette fois, ce n’était pas à la pièce mais au poids… Et de toute façon, peser, c’est choisir comme le disait Samuel Beckett et le Livre de Daniel avant lui (n.b : ces références sont probablement fausses, comme cela arrive chez moi. Vous n’avez qu’à les vérifier, si vous y tenez, après tout…) ; et si je devais commencer à choisir des fruits, je n’irais pas à Leclerc, mais chez un primeur sympa à qui je pourrais faire la causette… Bon, bref, j’ai tout pris par filets pour ne pas me faire suer avec les caisses, et j’en profite pour recommander à Mr Leclerc d’embaucher davantage de personnel pour fabriquer des filets garnis adaptés à la demande (genre les barquettes de pot au feu, mais aussi des petits sacs de 2, 4, 6, 10 avocats…) ; si en plus il réfléchit à quelque chose de biodégradable pour mettre ces filets, ça nous évitera l’impression d’être pris pour des jambons à devoir à chaque fois racheter ces sacs plastiques de m… qu’on déteste tous mais dont on a du mal à se passer – sauf qu’on les oublie toujours au fond de la voiture...

Bon, je sors du rayon fruit et légumes/frais pour revenir à un truc que j’avais acheté chronologiquement avant : 2 balconnières en bois + accroche + bac plastique qui devraient finir sur mon balcon, inch’allah, et enchanter la vie, la vue et le voisinage d’ici quelques temps… en attendant, elles m’ont bien servi pour transporter tous les fruits et légumes… Ceci dit, elles étaient horriblement chères (59 euros les deux), Il y a aussi un joli pot bleu, toujours pour les plantations, à 9,90 ; je ne suis même pas sûr de ce que je vais mettre dedans mais j’aimerais que mon balcon finisse par être beau…

Là, déjà, c’est limite : ces achats sont purement superflus (ils sont très bien, mes pots tous moches et mal adaptés où des sauges crèvent depuis un an…) et ils constituent à eux trois presque la moitié du caddish…

Comment ? J’ai laissé passer des considérations esthétiques devant des contraintes monétaires ? Mais que font la police, la banque et la Haute autorité Morale ?

Et ce n’est rien.

Le reste des articles sont de véritables produits de luxe pour lesquels je me sens rempli de honte et de culpabilité (donc, puisque c’est déjà le cas, pas la peine de m’expliquer que je devrais avoir honte…)

Les voici, dans leur intégralité (ça se passe de commentaire, mais on pourra y revenir si vous voulez) :

AMANDE SACHETS200GR…. 3,42

BANANE CHIPS150GR………..1,15

ABRICOT500GR………………..2,30

TRUITE OVIVE 60 GR……….. 2,97

Donc, en gros, un produit de luxe pour moi = tout produit dont le prix au kg dépasse les 5 euros (35 francs, maman) – avec quelques exceptions. On y reviendra…

Bref, je pourrais supporter la contradiction. Mais il y a la dernière ligne.

Le comble de l’horreur – oh tiens, je n’arrive pas à l’écrire…

Revenons un peu en arrière, sur un article dont j’ai déjà parlé : le filet de 2 kg d’orange à 2 euros 50.

C’est mal, je le sais.

Pour que ce soit si peu cher, on a certainement payé une misère des travailleurs opprimés, forcés de cueillir les oranges à ma place (même s’il n’y en avait vraiment aucune sur les arbres du parking de Leclerc) avant de les transporter à dos de mulet par-delà les collines vers San Isidoro où un contremaître ricanant les a payées à vil prix – s’il ne les a pas faites tomber à même le sol d’un geste brutal en hurlant tou té moques dé moi, incapablé d’indien, tou sais bien que les gringos né veulent que les meilleures oranzes ; ça (prononcer « tha » pour les anglicistes et « za » pour les hispanisants), cé né sont que des oranges pourries ! », tout ça à cause du mulet qui avait mal à son paturon…

Si je suis ma chaîne de la consommation (très fortement marquée par Jacques Vabre et Tintin / Le temple du soleil), le contremaître a ensuite fait charger les oranges dans un camion branlant, dont le moteur agonisant inondait d’huile de gas-oil le sol de terre battue du village ; ensuite le camion s’est dirigé en chaotant sur les routes vertigineuses (genre Montand dans Le salaire de la peur) vers TioPepe, la ville la plus proche, dont l’aéroport a été le cadre d’une scène similaire entre le contremaître hispanique et une brute stupide au service d’un cartel américain…

Déjà, rien que ça devrait logiquement me pousser à acheter des oranges « échange équitable » (*comme son nom l’indique, cela veut dire qu’ils ont changé le cheval – ici un mulet – que le contremaître est aussi maire du village, directeur de l’école, universitaire et que pour faire bonne mesure c’est une femme ; que l’américain a été renvoyé à ses voitures, et qu’il a été remplacé par une sorte de Bernard Kouchner mâtiné de Nicolas Hulot –

que limite il t’aurait apporté les oranges lui-même, mais là vraiment c’est pas pratique, il les a faites livrer le plus près de chez toi…), ou au moins à foncer chez un primeur.

J’ai déjà traité le problème ; donc, des oranges, même Eco +, ça passait encore, vu que je n’avais pas vraiment le choix cette fois ci…

Mais j’ai été odieux, repoussant, immonde. Je me suis vautré dans le luxe capitaliste insouciante et destructeur. J’ai acheté ça :

TROPICANA PURE PR ORANGE 3 ,79

C’est impardonnable. J’avais DEJA des oranges, une palanquée. J’avais déjà traité mes frères humains plus bas que terre. Et j’en ai rajouté. Par paresse, j’ai doublé le prix du produit (non, je ne suis pas mauvais en calcul, je culpabilise, c’est tout).

Moi qui n’ai que ça à faire, je ne me suis même pas obligé à presser moi-même mes oranges.

Non. Par ce simple achat, j’ai forcé de pauvres mères célibataires à venir au travail dès sept heures dans des usines ultra-modernes implantées près des côtes européennes, où, moyennant un salaire de misère et des horaires aléatoires et mal adaptés, elles ont pris pour moi à chaque instant le risque de se taillader les doigts entre les énormes rotors… J’imagine la sueur qui ruisselle le long de leur front et tombe goutte après goutte sur leurs masques sanitaires qui les empêchent de respirer correctement…

Tout ça alors parce que, même si j’aime bien presser des oranges le matin, j’en fous toujours partout et parfois c’est trop pénible, ou pas pratique, de le faire soi-même…

Je suis un esclavagiste, un irresponsable, un profiteur sournois.

Et j’en suis conscient.

Mais je l’ai acheté quand même.

Le mal est en moi, évidemment. Il y a quelqu’un, dans ma tête, qui a pensé la chose suivante (attention, personnes sensibles, écartez-vous, fermes vos yeux et votre âme délicate, ce qui suit est terrifiant) :

Et si ?

(là, si j’ai un fichier son, je colle illico le hurlement du loup transylvanien)

Et si, après tout, transformer les oranges en jus était une activité, sinon noble, du moins utile ? Si en achetant une marque je m’étais assuré que sa chaîne de fonctionnement était plus proche (tout en restant perfectible) du modèle « Kouchner » que du modèle « Exploitation coloniale » ? Si j’avais participé avec mon argent (enfin, le vôtre, hein, mais nous y reviendrons…) à une relation humaine faite de réciprocité et d’améliorations constantes, où chaque picaillon qui tombe au bout de la chaîne est préférable à pas de picaillon du tout ?

Aaaarh purée (je ne dis pas putain à cause des enfants) je le sais il est en moi le démon – JE PENSE COMME UN MEC DE DROITE !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Me faut un son genre « crash d’Airbus », là…

Je suis rentré chez moi tout agité de ce conflit intérieur. J’ai rangé les courses et j’ai commencé à écrire.

Ouf. Tout va mieux maintenant.

C’est sorti. Jetez-moi la première pierre – ou, au contraire, la première fleur.

(oui, on voit ça avec les p’tits gars de la technique, on installe un jeu avec « burn the witch » ou une lapidation façon Vie de Brian – et des extraits vidéo – pour quand vous voulez me tuer, et des roses pour quand vous voulez me ressusciter ou prolonger ma vie…)

Bon, je vais aller installer les parties professionnelles de mes courses : 1500 feuilles de papier (2 qualités différentes, on en reparle…) et un câble RJ45 (merci Jeff pour le tuyau) pour envoyer tout ça vers le vaste monde…

Je m’arrête pour l’instant – ah non, il fallait que j’ajoute un truc vraiment intéressant, c’est que j’ai trouvé au Trocathlon un nouveau VTT pour A. (c’est mon grand fils, je ne donnerai ni son vrai prénom ni sa vraie initiale parce qu’ici, ce n’est pas encore un endroit pour les enfants).

Je l’ai testé, scruté, et choisi parmi quelques autres avec un œil de professionnel (pas assez beau, gringo !). Bien sûr, il a des bosses, des rayures et des petits défauts, et bien sûr j’ai longtemps hésité entre le rouge et le bleu. Mais il y a un truc que je sais d’expérience : c’est qu’il n’y a pas de plus beau cadeau qu’un vélo offert par son papa.

Ca doit remuer des trucs en moi, ça, parce que c’est ce qui m’a rendu le plus heureux dans la journée…

Ah, et puis je sais ce que j’ai oublié d’acheter : un presse orange…

Téléphone

A +

NB : Sur les oranges et le travail des femmes : Quai des Oranges, roman de Nicole Zimermann.

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