15.9.09

736 - MArdi, je te raconte


L'instant d'après, ils étaient.

Le père et le fils.

Le fils qui pleurait le père à la guerre, n'avait rien vu de lui qu'un uniforme gris aux épaulettes rouges, une peau mal rasée pour un dernier baiser, le fils qui pleurait le père qui ne reviendrait pas

Le père qui posait sa main sur le bois du couvercle, ses ongles caressant le cercueil comme on berce,

Le fils retenant la corde, la terre appelait la terre, le fils qui se disait c'est dans l'ordre des choses,
et détestait les choses, et les ordres, le père qui hurlait mon dieu comment as-tu permis.

Eli, Eli, faisait l'un,
J'aurais dû j'aurais pu pleurait l'autre

Ils étaient la fin dans tout ce qui commence, ils étaient le début dans ce qui doit mourir,
Ils étaient celui qui dit avec moi la vie s'arrêtera d'elle-même , je ne transmettrai
Ni le remords ni le crime
D'exister.

Ils étaient le vieux chasseur dont le fils à contrecoeur s'occupe, regrettant la plus tendre viande qu'il rapporte à sa bouche, ils étaient le jeune loup défiant le monde de lui donner moins que son droit, celui de son espèce,
Ils étaient l'héritage, le vassal, le conflit, le royaume,
La terre qu'on partage, la misère qu'on creuse,
L'incompréhension de se voir si laid si vieux si jeune en ce miroir,
Ils étaient l'ancien monstre déchiré de marmaille, l'égoïste régent, le roi qui s'endormait,
Ils étaient le prince le promis qui ne sera que l'ombre,
Le père qui grimace de son fils trop connu,

La jalousie,
Un mendiant qui tuait un homme à un carrefour et se crevait les yeux de ne l'avoir pas vu,

Ils étaient cet instant d'équilibre quand le premier pied pose
sur le sol la verticalité,
Ils étaient le regard admiré, la barbe épaisse et douce, les bras contre les bras, la peau avec la peau,
La recherche toujours de l'ombre pour la tuer.

Ils étaient un grand fils qui partait à la guerre, le père qui grimaçait, pudeur soumise,
Regrettant de n'avoir pas changé le monde quand il en était temps.

Ils étaient l'ingrat, le mouton noir, la fissure, les changements de ton, les cris, les ceinturons.

Ils étaient un instant de tendresse, deux hommes vieux déjà qui se regardaient naître, un plaisir partagé, un miracle discret,

Ils étaient chaque fils chaque histoire chaque père, et aucune pourtant
Ne se terminait bien, si ce n'est d'un sourire, d'un vieillard fatigué qui dit je suis content,
Je sais où je vais, j'ai réussi le reste
Parce que je l'ai vécu comme un homme, mon fils,
Un humain élevé à la grâce de père,
Pour tes yeux, ta présence, pour t'offrir la pareille
D'exister dans la chair et de me dire adieu.

Ils étaient un dieu qui crucifiait son fils,
un dieu qui fendait le crâne de son père pour en tirer ses frères,
un dieu qui renaissait comme un autre lui-même,
un dieu qui sanglotait du désir engendré.

Ils étaient un peu aussi la honte, le tiens-toi droit, le ne fais pas ça,
Où chacun regrette l'instant où l'autre
Était semblable à lui, dans un temps ressassé.


Puis le seqsue redevint immobile.

- Bin dis donc... c'était quoi, ça ? lança Rahoul, assis par terre.
Dans un coin, Esag pleurait.

Tout au sommet de l'Arbre, la pleïstéchione n'arrivait pas à faire le lien entre sa nouvelle situation et la précédente : elle les avait enfin retrouvés, ils allaient pouvoir s'amuser ensemble - et puis pouf, voilà qu'ils avaient à nouveau disparu...

Elle glissa une pattentacule vers le centre de l'Arbre.

1 commentaire:

Zoë Lucider a dit…

Magnifique poëme, merci Manu. les zélèves ne t'ont pas encore dévoré, et bonnes vendanges.