10.11.09

765. MArdi, je te raconte


Non. Pas ça.
Peut-être qu'Esag savait, ou qu'il aurait su, raconter les histoires ; mais ce n'était pas la question - ce n'était pas ça qui lui ramènerait, ou lui ferait retrouver, son fils.
Sous son crâne épais de Zom, Esag se mit à penser. Il n'avait pas l'habitude.
Ca faisait un léger bruit, comme du vent dans des feuilles.

Voyons. Tout avait commencé...
Tout avait commencé quand Rahoul avait joué avec la pléïstéchione.

Et dans le cerveau primitif d'Esag, la petite voix de Rahoul résonnait en écho
Tu ne joues jamais avec moi... tu veux jouer aux Laid Go avec moi ? Dis, papa, si on jouait au Laid Go ?

Le laid go. C'était une activité étrange - il s'agissait d'empiler des trucs, comme ça, en faisant un machin, là, par-dessus, pour construire, à la fin, un... Des années auparavant, bien avant Rahoul, Esag avait su y jouer. Mais un jour, un Zomprêtre lui avait dit qu'il fallait se débarrasser de laid go. Que c'était une source d'illusion, un truc dangereux, etc. Que le JEu en lui-même était à proscrire, qu'il ne valait pas l'achandelle*.

Et peu à peu Esag avait perdu le goût du JEu.

Une secousse parcourut son visage crispé. Esag sourit presque.
Et si c'était ça, le commencement ?

Il se leva et saisit dans ses mains la pléïstéchione tremblante. Ecailles rouges, écailles vertes, mais comment ça marchait, ce truc ?
Il appuya au hasard sur une écaille.
Et.




Rhol Issagfil se tenait debout dans la lumière du matin. À ses pieds s'étendait une longue étendue de terre ocre, pareille à du sable, battue par les vents d'outreroît. Soleil rouge était déjà levé ; Soleil blanc le rejoindrait bientôt, et les deux astres recommenceraient leur course éternelle dans le ciel d'Uberwörld.
À cette pensée, Rhol sentit son coeur se serrer. La voix d'Iorg, le vieil aveugle du village, résonnait encore dans sa tête.
- Tu dois partir, mon garçon. Tu dois partir dès ce soir ; demain, il sera trop tard. Les temps sont venus. La prophétie va se réaliser.
La prophétie. Au fond, il pouvait s'agir d'une simple légende. Dans le village, d'ailleurs, nombreux étaient ceux qui prenaient Iorg pour un vieux fou. Ils se gardaient pourtant de formuler ces pensées à voix haute ; car l'aveugle était aussi le Shorcier du clan, et beaucoup le craignaient.
Rhol, lui, n'en avait jamais eu peur. Il devait avoir quatre ou cinq ans à peine quand, à la suite d'un pari, il s'était approché pour la première fois de la cabane de l'ermite, à l'écart du village. Le groupe d'enfants avec lequel il jouait aimait à se lancer des défis.
-
Urghu n'est pas capable jusqu'en haut du vieil arbre !
- Colinsor a peur d'aller voler un pain dans la hutte du chef !
Le clan des Zaëms tolérait, voire encourageait, ces jeux ; pour ce peuple de la forêt, l'adresse, la ruse et le courage représentaient des valeurs de premier plan. Les cérémonies d'initiation des adolescents comportaient presque toujours des épreuves de vol, d'espionnage ou de mensonge. Les autres peuples considéraient souvent les Zaëms avec méfiance, les traitaient d'escros et de fourbes ; on les surnommait parfois "le peuple des Endormeurs". discrétion en faisaient des alliés recherchés. Néanmoins, leurs talents de stratèges, leur habileté à traiter les situations les plus complexes et leur dans toutes les situations périlleuses, comme lorsque des guerres de clans menaçaient.
À quatre ans, Rhol Issagsfil témoignait déjà, à un dégré remarquable, des qualités tant prisées de son clan. Aussi ses camarades s'ingéniaient-ils à lui lancer les défis les plus dangereux, les plus spectaculaires. Et Rhol les relevait sans peur apparente. Il n'aurait jamais avoué qu'au contraire, la peur ne quittait guère son ventre quand il accomplissait les missions dont ses amis le chargeaient.
Ceux-ci, ce jour-là, s'étaient ingéniés à trouver un défi irréalisable pour Rhol. Ils avaient longuement exploré les bois et les falaises autour du campement, rôdé autour des huttes et des prés cultivés, à la recherche d'une tâche qui aurait mis à mal les capacités de leur camarade. Il leur avait fallu attendre le coucher de Soleil Blanc pour que l'un d'eux, le grand Ioris, ait enfin une idée.
-
Rhol n'oserait pas entrer dans la hutte d'Iorg l'aveugle ! Rhol est un lâche !
Ioris avait ri, d'un rire méchant qui découvrait ses vilaines dents jaunes ; les autres avaient ri avec lui - il valait toujours mieux rire avec Ioris, même si ses plaisanteries étaient souvent mauvaises et mal racontées, car il lui arrivait de se montrer violent avec ses camarades, tous plus petits et moins forts que lui.
Rhol avait cligné des yeux. Bien sûr que la hutte d'Iorg l'effrayait ; et bien sûr que tout le village la considérait comme un sanctuaire. Mais le défi était lancé, et tout son être se révoltait à l'idée d'avouer sa peur. Alors, d'une voix claire, il avait lancé :
- Rhol osera entrer dans la hutte d'Iorg le Shorcier ; et cela, après le coucher de Soleil rouge. Rhol volera même quelque chose pour prouver qu'il est courageux comme le cerf et rusé comme le loir."
Et la troupe des enfants avait attendu le coucher de Soleil rouge.






(*Note : achandelle : petite construction en bois dans laquelle les Zoms aimaient parfois à s'isoler)


Illus : Quelqu'un découvre, ep

1 commentaire:

M agali a dit…

il y a encore des gens qui jouent à la péistéchione? Mais je croyais que c'était déjà fini au Pléiostène!