26.5.09
681 - Mardi, je te raconte
- Bon alors, Papa, tu la racontes, la légende du grand arbre ? Allez, dis, heu, steuplé, tu la racontes quoi ?"
Rahoul venait d'inventer la litanie ; mais son père l'interrompit :
- Chut, enfant... Je vois... Je vois..."
Rahoul se renfrogna. C'était reparti pour un tour. Son père, et ses fameuses visions.
Parce que c'était son truc, à Esag. Parfois, il se figeait, comme absent au reste du monde ; puis d'une voix caverneuse, il se mettait à raconter des choses - des choses qui n'existaient pas, mais qui d'après lui finiraient par exister un jour ou l'autre.
Ca le mettait dans de drôles d'états, mais bon, il était comme ça, alors tout le monde faisait avec. Même Rahoul, qui aurait préféré que son papa s'occupe de lui, là, maintenant, sans penser au futur de l'avenir, sans s'inquiéter de ce qui pourrait arriver...
Esag continua :
- Je vois... un jour plein de cadres. Des cadres partout. Des cadres autour."
Rahoul leva la tête. C'était quoi, un cadre ?
- Je vois les mots qui deviennent des formes, des formes qui deviennent des angles, des angles qui deviennent des cadres ; et des cadres qui disent des mots sur ce que nous ressentons".
Ouh là. C'était parti pour être complexe. En général, le père de Rahoul se perdait un peu, quand il commençait comme ça. Mais il poursuivit :
"L'arbre, cet arbre, tu sais... c'est toi mon fils qui a inventé ce mot, le mot arbre qui dit ce que tous les arbres ont en commun... eh bien, cet arbre, un jour, il sera..."
Le suspens, encore. Décidément, depuis qu'il avait inventé ça, le père de Rahoul en abusait.
"Il sera pris dans un cadre, un cadre où il sera représenté ; il ne sera plus l'arbre-qui-est-l'arbre-qui-est-là, mais l'image-de-l'arbre-qui-est-là-et-qui-peut-être-ailleurs..."
Rahoul commençait à se demander si son père n'avait pas abusé des décoctions de plantes.
"Et toi, mon fils, ou les fils des fils des fils de tes fils, regarderont dans ce cadre, et y verront l'arbre-qui-est-là-dans-ton-coeur... Même que ça pourrait leur poser des problèmes, tous ces cadres qui mettent dans le dehors tout ce qui est dans le dedans - ils se demanderont où s'arrête le dehors où commence le dedans..."
A propos de dedans, Rahoul était dans la soupe, et en plein.
- Je vois... rho, plein de trucs, tu sais. Des cadres pour voir des mots des cadres pour voir des couleurs, des cadres pour entendre des voix des cadres pour se reposer... Je ne pourrais pas te les citer tous, car un jour ils seront partout..."
Rahoul pensa que son père venait d'inventer le délire de persécution, et comme c'était moyen amusant, il l'interrompit :
- Oué, mais dis : quel rapport avec mon arbre ?"
Les yeux d'Esag s'allumèrent :
- Je vois... un parmi des (chiffres chiffres nombres chiffres, ni Rahoul ni son père n'avaient encore pensé à inventer la numération), je vois un cadre, avec des images d'arbres - je vois des noms, comme Ooksonlézenfans, Juliétarmanhac, MaanukOooss... je vois des images qui disent des mots qui disent le dedans du dehors... je vois...
Soudain, il s'interrompit, et enchaîna tout de suite :
- Oh pardon, je déconne, on disait quoi, là ?
Et Rahoul soupira. Parce que son père venait d'inventer le coq-à-l'âne, et que franchement, cette histoire d'arbre, ça commençait à faire.
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