17.4.09

659 - Au théâtre hier soir


Rue de l'espérance, à deux pas du Théâtre de poche, le ciel était gris et rose sur les vitres de voitures.

Tu parles d'une entrée en matière...



Didier Albert, propriétaire des lieux, metteur en scène, auteur et grand passeur, m'a accueilli avec son sourire habituel.

Mais on s'en fout, non ? C'est pas de ça qu'on veut parler !
Oh, ça va maintenant. Faut bien commencer quelque part. Et puis ça nous change un peu de la poésie cryptodépressive.
Moi, ce que j'en dis...





La pièce s'intitulait Souvenirs Assassins, et le nom de l'auteur m'avait attiré comme un aimant : Serge Valetti.

C'est qui, Valetti ? Il en a déjà parlé, non ? C'est pas le marseillais fou qui écrit des textes totalement perchés?
C'est un type super connu, merde. Un des maîtres du théâtre moderne, comme Caubère ou... il n'y a vraiment que toi qui... oh et puis attends, ça continue.
Pff... entre nous, la comparaison "m'avait attiré comme un aimant", c'est nul, non ?




L'acteur, Robert Gourp, incarne un auteur qui tente d'écrire, et qui est littéralement assailli par des personnages - les siens, ou peut-être ceux d'une vieille femme qui va faire ses courses rue Balzaco
C'est Benzaco, non ?
Basalco ?




Un auteur, une vieille, un type de l'Inspection, quelques badauds, un mythomane, un psychiatre, un petit garçon, une roumaine, ça fait beaucoup de monde sur scène. Sans parler de ce cube, de forme adéquate, qui pourrait être là si, de ce violon qui aurait été sur scène si, de cette lumière qui se coupe au mauvais moment et...

J'ai pas vu de violon. Et la lumière, c'était pas exprès, je crois.
Bin on aurait dit, en tout cas. Et pour le violon, faudra qu'on y retourne.


Et ça s'engueule, ça s'interpelle dans une langue qui sent le sud, qui sent la vie, les rêves magnifiques et les dérives ; une langue qui parle d'elle-même et semble s'échapper dans tout les sens, où pourtant l'auteur - le vrai, le Valetti - instille des réflexions ironiques sur l'existence, la création, et le problème des arrhes

Il dit "Valetti". Faut pas. Faut dire Va -lééé-t'i, avec l'accent au milieu, comme à Marseille.
Peut-être. En tout cas, les arrhes, suivant l'accent, ça fait Art ou ça fait areuh.
Pas sûr que ça veuille dire quelque chose.
Pas sûr. Mais ça le dit.


À un moment, je me suis retrouvé sur une plage de Golfe-Juan, à écouter les délires mi-Gatsby, mi Dédé-la-sardine, d'un personnage en costume. Et ça sentait la mer, peut-être même l'outremer.

L'outremer. L'outremère. Ca y est, je viens de la comprendre.

Ouais. En tout cas, s'il ne se souvient que de ça, c'est que tous les acteurs n'étaient pas égaux.
Mais il n'y en avait qu'un, non ? Et puis, qui a tiré sur qui ?


Vous l'avez compris : j'ai été tranporté par ce one-schizo-show.

Ce quoi ? Je comprends rien. En tout cas, ça m'a bien plu.
Moi aussi. Mais je ne saurais pas dire pourquoi.
Bin, y'a pas besoin de le dire, si ?
Je crois que si. Pour que des gens profitent des deux derniers jours au théâtre de poche. Ou même aillent voir des pièces de Valetti dans leur ville à eux. Ou retiennent le nom de l'acteur.
Lequel ?

Théâtre de poche, Robert Gourp, Souvenirs Assassins, Serge Valetti.
Et la rue de l'Espérance, aussi.


1 commentaire:

Manu Causse a dit…

... on m'envoie par Facebook de Pascal Lebret qui répondait par avance et en détail à la petite remarque sur la rue de l'Espérance.
Et je vous le livre.


L'Est, l'ouest et le théâtre de Poche
La rue de l’Espérance, située jusque à côté du théâtre de Poche, à Toulouse, est orientée Est/Ouest.

Je le dis dans ce sens là: Est/Ouest, parce que je me trouvais là, un soir, en repartant du théâtre, alors que nous venions de terminer une répétition de Mitsou, et que le soleil – symbole d’espoir s’il en est ou, à tout le moins, de renouveau, même pour qui craint la fin de toute étoile, dont la nôtre, en quelque violent cataclysme thermonucléaire dont l’humanité ne saura réchapper – le soleil, donc, se trouvait dans mon rétroviseur comme je me dirigeais vers l’Est précisément. Il est heureux, me disais-je, que l’Espérance ait une rueet ceci me remplit inexplicablement d’un sentiment joyeux et optimiste. Cependant ce sentiment ne dura guère: poursuivant ma pensée, et bien que négligeant le mauvais présage représenté par le sens de ma route à ce moment-là, je ne pus m’empêcher de penser que le sens de l’expression était remarquable – comme s’il s’agissait de signifier que l’espoir grandit comme on se dirige vers l’Ouest. Sans doute parce que nous étions alors en pleine campagne électorale, j’y voyais là une sorte de métaphore politique non dénuée d’un certain parti pris (sans doute involontaire de la part de ceux qui baptisèrent cette rue, mais pour qui veut voir des signes partout, il n’y a pas de vrai hasard): j’imaginais plaisamment que les promoteurs de cette dénomination, habitants de ce quartier populaire situé derrière la gare, s’étaient trouvés issus de familles exilées de quelque pays anciennement communiste et que leur inconscient avait trouvé là un moyen inattendu d’expression.

Toutefois, comme je tournais sur ma droite (notez-le bien), toutefois, m’objectais-je, il eut suffit que je prenne cette route le matin pour que, le soleil se trouvant devant moi, j’en conclue que la rue était orientée Ouest-Est et que le soleil se levant à l'endroit que l’on sait, le sens du présage s’en serait trouvé considérablement modifié, dans une proportion exactement inverse, en fait, correspondant bien mieux aux espoirs et croyances de bien de ceux qui m’avaient précédé et qui, faute de connaître les réalités de ces supposés paradis socialistes, en magnifiaient les vertus et les bienfaits en attendant la prochaine élection ou un futur grand soir. Je dus de nouveau tourner, et cette fois-ci sur ma gauche, quand il me parut qu’Est et Ouest étaient finalement des concepts bien relatifs: à supposer que cette rue se fut située dans quelque quartier de San-Francisco (je ne dis pas de New-York, car l’Est et l’Ouest auraient alors eu la même signification que pour nous et cela eut nuit à mon argumentaire), et l’espoir eut changé de camp sans doute: je n’ai jamais entendu dire que pour un habitant de Californie, il y eut un Ouest plus prometteur que le sien ni que l’Est de l’Etat fédéral lui parut un pays de non-droit et de désespérance.

Cette pensée me laissa un moment perplexe: ainsi donc l’espoir pouvait sinon changer de camp, tout au moins d’horizon géographique: la côte Ouest des Etats-Unis, notre Ouest, n’est elle pas située à l’Est pour les citoyens des pays du continent asiatique qui bordent l’océan Pacifique, et ne représente elle pas, pour ces gens là, leur horizon d’espérance? Cette perspective m’effraya: car, enfin, accepter cela conduisait tout droit à considérer qu’Est et Ouest se valait… Sans même parler de la révolution que cela représentait sur un plan strictement géographique et des complications extrêmes qui ne manqueraient pas de découler de cette constatation, à l’apparence banale, en matière de déplacements terrestres, maritimes ou aériens, si elle devait être établie comme telle, j’aboutissais aussi (si je puis dire), sur la base d’un tel constat, à une situation éminemment subversive sur le plan de la conduite politique: une sorte d’aquoibonisme épouvantable nous précipitant (on le sait) dans les bras de tous les extrêmes, tant il est vrai que l’homme ne sait se passer de repères (en matière politique comme en matière de déplacement) fussent ils mauvais ou pires.

Résolu à ne pas me laisser emporter si facilement, je réexaminais la question: si l’on admet, me disais-je, qu’il ne soit pas dit que les chinois désirassent tous devenir citoyens du pays de l’Oncle Sam (je sais: cela paraît presque inconcevable), cela ne signifierait-il pas qu’ils se trouvent dans un tel état de désespoirpour une raison plus simple, d’ordre géographique bien plus que politique. Loin de tomber, donc, dans un relativisme dévastateur pour mes propres convictions politiques, j’en vins à penser que la côte Ouest des Etats-Unis devait délimiter une sorte de ligne de référence, insurpassable en réalité, de l’espoir sur cette Terre. Toutefois cette pensée me mina véritablement profondément: la souffrance humaine est sans limite, nous le savons, mais son espoir non plus (pensais-je jusqu’alors): l'idée qu’il pouvait exister une sorte d’état final, pire, de lieu géographique, où l’espoir ne croissait plus, c'est-à-dire où l’une de ces facultés qui fonde même l’humanité ne s’exprimait plus, me consterna, mais, dans le même moment, la révélation que ce lieu se trouvait précisément sur la côte Ouest des Etats-Unis, représenta une pensée lumineuse et féconde. Les américains eussent ils été les premiers à découvrir, après la fameuse conquête de l’Ouest, le pays du Soleil levant ou celui du Matin calme, sans doute les choses s’exprimeraient elles différemment… Mais contraints de s’arrêter là, face à l’immensité de l’océan indépassable, sachant très bien ce qui les attendaient de l’autre côté, quel espoir leur restait il? Aucun.

Je compris alors, exactement à ce moment là et tout à la fois, la raison puissante qui gouverne la conclusion si caractéristique des films hollywoodiens (le fameux "Happy end"), cette façon de filmer les choses, les gens ou la vie, ou d’écrire leurs livres – où une idée occupe un chapitre quand elle ne ferait pas un paragraphe d’un texte français – et leur foi enfantine dans la vertu des progrès de la science (et, n'étant pas à un paradoxe près, dans leur fatras de religions diverses): ce n’est pas tant qu’ils veulent imposer leur mode de vie ou de penser, me disais-je, à vouloir tout dire, tout expliquer, tout déterminer: c’est qu’ils ont perdu l’espoir - l'espoir en l'humanité, je veuxdire: en est il d'autre ? Je repensais alors, en contrepoint, à toute cette agitation politique qui traversait ce vieux pays et à ce qui en résultait, le choix probable de ce petit homme autoritaire et affable, aux convictions américanophiles affichées,et à ce petit théâtre que je venais de quitter, aux textes que j’y avais entendu, aux représentations auxquelles j’avais assisté et je me dis alors que c’était précisément dans les fins inachevées des pièces que l’on y jouait, dans le silence parfois presque palpable installé entre les répliques des acteurs, dans la richesse des mots que l’on y donnait à entendre que se situait précisément ce que certains américains et tous leurs thuriféraires avait perdu: l’espoir – et que, quel que soit le sens de son chemin et son point de vue sur la place relative de l’Est et de l’Ouest, il était parfaitement juste et bon que ce théâtre là, le théâtre de Poche, se situât dans le quartier de la rue de l’Espérance. Et cette pensée me remplit de nouveau d’une joie et d’un optimisme profonds.