6.5.12

1007. Histoire d'attendre

Bois danois
1. Où fut Avril ?


Ah d'accord : je tourne le dos quelques secondes, je me consacre à autre chose, et hop, voilà : un mois entier est passé sans post. Zoé m'avait prévenu, on me voyait peu en ce moment, mais là tout de même, je suis le premier surpris.
Il faut croire que j'avais autre chose à (dans le désordre : réfectionner Déjà que tout seul j'ai du mal à vivre ensemble, recueil de nouvelles ; mettre en scène En attendant Daniel ; préparer mon premier texte exclusivement numérique et belge, Bruxelles ou la grosse commission ; corriger L'eau des rêves, roman, pour sa sortie à l'automne... et encore, on ne parle que du plaisir textuel).
Ca ne m'a pas empêché de voir des choses.

2. Leçons d'émerveillement

Copenhague, pour un ouikend : marcher des heures, synchrones, ouverts, silencieux ; effleurer la mer, se poser aux terrasses, découvrir, explorer, admirer. Sans rester béats pour autant.

Les Danois sont gens bien nets ; le soir, dans les parcs, ils vident de longues cannettes que des indigents ramassent avec un mot d'excuse.

Pour la ville et ses ciels, j'ai des photos ; pour Christiania, le quartier indépendant, j'ai des impressions. Mais pour le musée de Louisiana, j'ai des envies de partage.
Il y avait, outre des Giacometti vibrants, une exposition sur les femmes de l'avant-garde, où j'ai découvert entre autres Dora Maar et Claude Cahun - frappé par les points communs de leur démarche, par leur familiarité aussi (l'univers d'E. me les rappelle) ; guidé par un commentaire éclairé, intelligent, j'ai retrouvé ce plaisir, un peu perdu dernièrement, de regarder autour, de regarder l'autre, de m'en laisser conter.
Il y eut aussi les photographies d'Andrea Gursky, qui détiennent le douteux privilège de figurer parmi les plus chères du monde ; mais au-delà de ce titre discutable, leur démesure, leur composition, le sens qui s'en détache - le tragique parfois, parfois le narratif, le surprenant, le documentaire, ou l'abstraction - en font bel et bien des objets fascinants, admirables au sens strict du terme.
Mais ce fut Yael Bartana qui me surprit le plus : cette artiste polonaise a tourné trois films relatant le retour de millions de Juifs en Pologne, à l'appel d'un activiste polonais. Le premier court-métrage reprend les codes oraux et filmiques des discours du Reich ; le deuxième parodie les films de propagande, en particulier ceux dédiés aux kibboutz ; le troisième, enfin, plus long, lorgne du côté d'un cinéma américano-européen moderne, en mélangeant individus et mouvements de masse et en faisant une part belle au pathos ; c'est aussi celui où la réalisatrice égratigne le plus Israël. Sa posture de candeur intelligente - et si venait un appel au peuple, un appel au pardon, à la guérison des maux? - m'a ravi,réchauffé, encouragé.
Connaître l'Histoire et ses signes sans s'empêcher pour autant de rêver.
Un peu à ça que sert, l'art, je suppose.


3. Mélangisme artistique

Et voilà que, suite à une discussion véhémente au détour d'une soirée, je me retrouvai hier au dernier soir de l'édition toulousaine du festival La voix est libre, au théâtre Garonne, où se rencontrent des artistes venus de tous horizons.
Hier il y eut Miguel Benasayag - lumineux - un texte de C. Pennequin dit et bruité par deux comédiennes - original, inhabituel, même si parfois un peu déséquilibré - une performance voix/danse de Dieudonné Niangouna et Qudus Onikeku  à couper le souffle, et enfin un concert de Bernard Lubat,qui, du haut de son "jazz baloche" (la formule n'est pas de moi), se demandait si demain, sarko'mençait, ou s'il fallait croire Hollande-mains qui chantent.
Parce que oui, ce fut une soirée préélect'orale, tout en rencontre, en coups de coeur et de cris, en explorations / expérimentations, en mélanges, une soirée festive et drôle, une soirée comme on en rêve de vivre plus souvent, dans un climat d'écoute et de partage, un moment de bonheur...
Et c'est à peine si on parlait de politique.

4. Parce que bon, tout de même

A l'heure où j'écris, aucune fuite dans la presse internationale n'annonce un écart de cinq à six points en faveur du candidat de gauche. Je dis bien de gauche, même si mes copains de la vraie-gauche-qui-sait traitent les socialos de socialistes, ou l'inverse je ne sais plus, même s'ils m'annoncent leur trahison.
Intéressante variante apparue pour le premier mai : la gauchiste féministe pour laquelle tu es un salaud parce que... tu parles (avec des couilles, mais pas seulement).
Attention notule : N'hésitez pas à écouter la dernière émission de Pas plus haut que le bord pour davantage de détails (j'en profite pour préciser que, depuis près de deux ans, je suis apparu dans cette émission sous les traits  d'Aymeric, chroniqueur UMP, et que le Manu qui chronique est, bin, un autre chroniqueur. Voilà voilà).
Tout ça pour remarquer qu'effectivement, les soirées au théâtre, les après-midis au musée, ont un parfum terriblement bobogauchiste - un événement Télérama, n'est-ce pas ? Et que pourtant, ce sont elles qui ouvrent à l'autre, qui permettent de saisir sa culture, sa différence, et de remettre les nôtres en perspective ; que l'élitisme que l'on reproche parfois à la culture est un bon prétexte pour l'escamoter et la remplacer par des produits consommables, prêts à l'emploi et uniformément tièdes.

Alors bon, voilà. J'attends le résultat d'un vote en me disant que, pour la première fois de ma carrière d'électeur, j'ai une chance de voir élu un candidat dont le discours présente des valeurs dont je me sens proche.
J'ai un peu les miquettes, tout de même, parce qu'en revanche, je m'y connais davantage en matière de déception ; et je me dis que, si tout se passe bien, demain - il faudra se remonter les manches, se mettre au travail, se préparer à voir bouger le navire - en sifflotant, s'il vous plaît, parce que tant qu'à être dedans, autant y prendre du plaisir...
A demain (ou au moins prochain) pour l'an 1 ?

5. Et puis, l'important

Les  mots guérison et rémission n'ont pas
vraiment de sens mais
je te vois à présent libéré
non seulement des contraintes médicales mais
de la tristesse, du doute que
je te connaissais depuis dix ans peut-être, peut-être plus
- je te prends dans mes bras, boule de muscles qu'enfant si lointaine,
que mes longs bras d'adulte ou presque reconnaissent à peine
et célèbrent, 
et je te blottis aussi comme un fils
toi qui m'appris à être père
à être fils
toi qui m'apprend désormais que

sourire est 

survivre
se battre, avancer, décider,
choisir le camp de la vie
en chérissant notre faiblesse,


et ce jour-là, Papa, champagne ! Nous avions gagné.
 

3 commentaires:

Audrey Betsch a dit…

C'est quoi cette case "J'aime bien" . C'est bien tiède... Magnifique billet, as usual...

Zoë Lucider a dit…

Ayé, c'est fait. L'horizon s'éclaircit. Moi aussi je craignais et finalement l'écart est minime. Il fallait tout. Maintenant, on va encore supporter un mois de campagne. Et après, remonter nos manches pour qu'ils ne s'endorment pas.

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup le point 5, même si c'est inquiétant, même si c'est obscur, pas évident… C'est beau. J'embrasse. Caillou