14.6.10

894 - Réflexions faites


1) Bleus

Je me souviens d'eux. Ils étaient deux. Les meilleurs, c'était une évidence. Toujours dans la surface de réparation, toujours devant, toujours dribblant la balle au pied. Semant la pagaille parmi les défenseurs, tirant, toujours, vers le but.

Puis au choix ils levaient les bras ou se roulaient par terre, jetaient des insultes à l'entraîneur à l'adversaire, des reproches au partenaire qui aurait dû mais n'avait pas ; ils fouillaient dans leur poche et en sortait un portable, se dandinaient sur la pelouse, invitaient les spectateurs à les admirer.

Leur bêtise, leur incapacité à penser une histoire autre que "on dirait que je serais le meilleur du monde et que je réussirais tout", les parents qui les accompagnaient (cigarettes voix fortes survêtement commentaires désobligeants sur le reste de l'équipe) ; leurs attitudes calquées sur la non-réalité des images télévisuelles - il ne leur manquait au fond que le ralenti - criait la médiocrité, la petite commune misère.

Ils avaient six ou sept ans ; ils jouaient dans un club de foot de quartier, n'avaient pas la moindre idée de ce qu'était le respect pour un entraîneur, un adulte, un coéquipier. Pas la moindre idée de ce qu'était une équipe.

Ils avaient six ou sept ans, peut-être moins, mais déjà des adultes au regard sûr autour d'eux se rengorgeaient, détectant, dépistant qu'un jour peut-être, un jour sans doute, ils seraient des grands.

Et ils avaient raison, sans doute. Si on parvient à laisser monter en graine des bébés capricieux mais rapides des jambes, on obtient, semble-t-il, plutôt que des personnes, des footballeurs.

2) Justice

Puisque notre cerveau, prompt à l'emballement, se projette une image où la blessure de nos corps ou nos âmes est annulée, invalidée, réparée, nous courons - parfois toute une vie - après la notion de justice.

À l'inverse, il peut nous paraître, certains matins de creux dans le ventre, que le monde, Caliméro, est vraiment trop injuste. Qu'on n'arrivera jamais à, étant donné nos handicaps de départ. Et ce n'est que justice.

Ainsi, me projeter dans l'échec me permet de me sentir tout à fait à l'aise, tout à fait réparé - ou au moins justifié.

Pratique, non ?

3) Ca m'énerve

En tant que membre du gouvernement de mon coeur, je bénéficie du droit à une retraite d'un précédent mariage, des indemnités de quelques missions d'exploration amoureuses, ainsi que du traitement pour mon couple actuel.

C'est beaucoup, je dois l'admettre - même si je peux le justifier par mes nombreuses responsabilités (et ce bien qu'au cas où celles-ci seraient engagées, les tribunaux, je le sais, se montreraient d'une grande clémence).

Aussi, je m'engage ici à renoncer à au moins l'un de ces revenus, à condition bien entendu qu'on promulgue une loi. Ce qui me laisse quelques mois à profiter de l'ensemble.

Je me poserai ainsi en exemple pour tous ceux à qui la conjoncture impose un effort de rigueur sur leur coeur.

4) Nouvelles du trou

Il y avait hier à B., ce village au coeur percé ouvert, une nouvelle rue, une ancienne maîtresse qui souriait de nous voir, des lapins apeurés et des couleurs d'orage. Allez savoir pourquoi, j'ai regardé les maisons disgracieuses, dépareillées, parfois prétentieuses - et je leur ai trouvé un certain charme.

Le plein de campagne fait, le passé rétabli peut-être, nous repartons à l'assaut de la grande ville.

5) Narcissisme et politique

Vu hier dans un magazine la photo d'un ministre avec des crampons et un maillot bleu ; ce même ministre annonce ce matin, tout en douceur, la réforme de l'âge des retraites - discutable par la suite, évidemment, et équitable, et nécessaire, ô combien.

Faut faire corps derrière l'entraîneur. Il nous mène à la victoire, de toute évidence. Tiens, là, derrière nous, sur l'écran, but de Machin. Dire que nous avons failli le rater.

Ça fait quand même beaucoup de mépris pour une seule semaine.

1 commentaire:

Oh!91 a dit…

Ben voilà. Ton billet était prémonitoire. Trop de bébés, trop de graines, trop de caprices... Total, trop de footballeurs ! Patience, ils rentrent bientôt à la maison, on va pouvoir parler de choses intéressantes. Des bises.