Combien de temps que tu n'as pas glissé, par une nuit de demi-lune, dans le jardin,
combien de temps qu'à l'écart des dormeurs tu n'as pas écrit la veille du solstice, de l'équinoxe ?
tu ne comptes plus,
plus pour rien,
Combien de temps t'es-tu contraint à mesurer tes paroles,
tes mots, tes titres, un deux trois un deux trois,
à caler un image au centre ou à gauche ou à droite,
Combien de temps t'es-tu, combien de temps t'es-tu tu
J'ai peur, ce soir, j'ai peur à n'en plus dormir, à compter mes terreurs et mes bénédictions,
j'ai peur de ne plus compter, de ne plus écrire,
j'ai peur de voir la terre s'effondrer le ciel nous fondre sur la tête les eaux monter les chars envahir les rues la rage gagner du terrain,
la guerre engendrer la guerre engendrer la guerre engendrer la paix des épuisés
déjà dans le jardin les rats gambadent,
et que puis-je y faire, je refuse de les empoisonner,
je ne peux leur laisser ronger la substance toxique qui de leurs viscères coulera
dans les fleurs
dans le sol
dans les eaux qui s'infiltrent et la pluie qui remonte,
condamnant à l'avance bien plus qu'une portée de surmulots
un écosystème
piégé par mon économie, par mon système, pris à ma propre nasse, enfermé, infirme, finissant.
J'ai peur et j'enrage.
J'avais écrit cette histoire, Arthur et les oiseaux, ce texte sans prétention qui disait "On a sauvé les oiseaux", un passé dans le futur, conditionnel en quelque sorte,
et le texte était beau, le texte allait naître
et soudain - oh tiens non, il y a déjà ici - Le ciel sans les oiseaux.
J'ai souri, magnanime, hasard de l'édition, pas un texte parfait,
mais la nuit mon coeur soudain s'étrangle - pas pour les mots, par pour l'album,
mais pour ce que je dirai à l'Arthur qui m'inspire :
- Non, on ne les a pas sauvés ?
J'ai peur je n'en peux plus de penser la planète à deux doigts de la fin, au rebord du chaos. Ça m'est impossible, je m'y refuse,
je me voile les yeux
je me perds dans le bruit, le travail et le vin,
je me perds dans ce que je projette, j'ai chaud, je climatise,
je somatise en vrac, je ne veux plus sentir
Pourquoi suis-je muet - la frayeur qui m'agite est-elle inaudible ? Se perd-elle dans le fracas des disputes futiles (oh tel polémiste a bien fait son travail en insultant une telle, tel nervi qui rêvait de flingues et de conduites américaines se fait tancer publiquement, trompettes des médias, tambour des instabooks, cliquetweets assourdissants)
ou bien ne sert-elle à rien qu'à remplir les derniers jours ?
mais la Terre, bordel, la Terre s'ouvre, la Terre nous vomit, la Terre se gratte de nos excès, s'enflamme de notre prolifération, de notre insatiable, la Terre tempête de nous supporter,
La pyramide de Maslow, la pyramide de misère, besoin, toujours besoin, besoin d'en avoir plus, de produire reproduire surproduire et détruire
pour éloigner la nuit et les vieilles terreurs
besoin de brandir haut, de tremper tromper trumper défaire,
d'agir et de gicler, de secouer
besoin d'être violent
de détruire à moi seul le bien commun
Ô reconnaître que tout ça m'appartient
me découvrir incapable
de tout arrêter
de m'arrêter
d'arrêter
demain, demain j'
Alors, quoi faire ? Désespérer ?
Ou alors écrire.
Écrire l'avenir.
Clamer le récit de la planète que nous avons sauvée. Raconter nos échecs et nos crises, nos erreurs, le passé. Raconter l'avenir, tisser les lendemains,
l'équilibre,
convaincre par la légende
rallier par la beauté.
J'aimerais bien, tu sais, te raconter
la prise de conscience, le prix de la vie
comment les hommes ont appris à écouter
aux portes de leurs rêves
comment soudain, juste au bord de l'abîme,
ils se sont arrêtés,
se sont regardés mains tremblantes
se sont souvenus des enfants, des chemins dans les plantes
des oiseaux, du silence
d'un soir d'été il y a longtemps
ont respiré
se sont souri
ont reculé d'un pas, puis d'un autre
ont cessé de croire pour décroître
pour décoller
quelqu'un lança une plaisanterie, et tous rirent de ces rires qui fêtent la fin des guerres, de ces rires aux larmes gaies
et quand ils eurent franchi l'abîme d'un coup d'aile,
quand ils eurent compris
qu'ils n'étaient pas le monde, qu'ils en étaient la fin
ils partirent se reposer et se souvinrent
du jour où ils avaient failli devenir fou
et des histoires qui les sauvèrent.
La lune est calme. Une voiture passe sur l'avenue. Un moustique tète la chaleur de la lampe.
Je vais dormir. Je vais rêver.
Je me lèverai à l'automne
pour le fêter.
3 commentaires:
Conte à rebours pour un matin d'automne, ça se lit, ça se vit et plus que quelques heures pour rêver...
Magnifique!On recule, t'inquiètes! Ils ne voient rien les vandales mais le repli est entamé.
Je viens de finit "oublier mon père". je vais de le faire à la Manu ;: Ca m'a... parce que c'est... et surtout tellement de... que je...
Ah! Non vraiment, quel... talent!
Oh et puis tiens, je te pique ton poème. Sur mon blog, guère plus visité que le tien (temps révolu) mais qui reste pour moi un lieu de mémoire. merci Manu
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