Dis camion |
Mardi soir nous étions au Dahu, sympathique bar où se croisent la fine fleur de la chanson franco-toulousaine et l'équipe de Pas Plus Haut que le Bord, émission de radio satirique et politique dont j'ai déjà dû te parler tout de même.
J'y vis ma copine Vulvinia de la Caillemolle, harpie aristo-bohème bien décidée à instaurer la paix dans le monde via l'orgasme en conscience et l'amour fusionnel.
Pour mémoire, voici le texte de sa chronique, que tu pourras également entendre (avec tes bouchons d'oreille) dans l'émission enregistrée que voici - je ne te mets pas de minutage, parce que l'ensemble de l'émission est de si haute tenue que je tu vas te régaler.
Bonne écoute avec les yeux avant d'y mettre les oreilles.
2. Les crocodiles
par Vulvinia de la Caillemolle, M.D, Ph.D, z.O.B
Christophe, mon chou, sais-tu ce qu'est un crocodile ?
Au
départ, c'est un blog, plus précisément un tumbler, où depuis 2013 le
dessinateur belge Thomas Mathieu illustre des témoignages féminins sur le
harcèlement et le sexisme. Ce blog est passionnant à plus d'un titre, ne serait-ce
que pour les questions qu'il pose. Les hommes aux comportements agressifs ou
sexistes sont représentés sous forme de crocodiles, et il faut lire les
réactions de certains lecteurs du blog qui se sentent pris à partie par cette image.
Toutefois, le blog a le mérite incontestable de poser la question des rapports
homme/femme et du sens menaçant que peut prendre la "drague" que
certains mâles pratiquent sur ce qu'ils voient comme des proies plus ou moins
consentantes. En ce sens et bien
qu'illustré par un homme, le blog "Projet crocodiles" est féministe -
il illustre les conflits de pouvoir et d'autorité tournant autour de la
question du genre.
Christophe, réveille-toi. C'était un peu long comme phrase,
mais après tu vas recommencer à comprendre.
Le blog projet crocodile est devenu un album de BD, un
illustré Christophe, publié aux éditions le Lombard, et notre chère mairie de
Toulouse, imaginant peut-être se faire un petit coup de pub, a commandé à
l'auteur des planches destinées à être exposées sur des bâches. Pourquoi pas ?
On avait bien eu la gueule de travers du soi disant nobel d'économie
toulousain, un petit espace de réflexion les violences faites aux femmes était
envisageable, surtout que c'est aujourd'hui, alors non c'était hier la journée
mondiale contre les violences faites aux femmes, mais comme vous allez le voir,
on peut toujours remettre à avant-hier la question des violences sexistes.
Car la mairie a finalement annulé cette exposition. Et
pourquoi ? Parce qu'on y voyait en particulier une jeune femme se demander
comment réagir face à une agression sexuelle dans le couple.
(Parce que ça
existe Christophe. Vous avez beau penser que vous êtes toujours open, ouvert
vous, il y a des choses qui peuvent vous blesser même dans le cadre domestique.
Et je ne parle pas seulement de l’énorme courgette bio que vous avez ramené de
la ferme de Lautrec).
Or ce témoignage
sur les violences domestiques, une élue du Capitole l'a trouvé immoral et
vulgaire.
« Ca parle de sodomie, on ne veut pas entendre ça… »
Alors, notre petite
élue coincée du cul se défend depuis d'avoir censuré l'exposition, elle raconte
à qui veut l'entendre que finalement ce n'était qu'un projet, à peine une idée
comme ça, et que franchement, quand les opposants crient à la censure, c'est
uniquement pour l'embêter elle.
Mais je voudrais revenir sur l'explication de Julie
Escudier, maire de Toulouse centre et en charge du comité d'égalité homme femme
- ça commence très fort, question égalité. Elle est avocate la chérie, donc je
suppose qu'elle sait ce qu'elle fait quand elle défend une cause. Et son
argument est très beau, elle dit,
"On ne lutte pas contre la violence par la violence".
C'est
magnifique Julie, et je serais un homme c'est moi qui aurais le Barreau.
Donc, les témoignages du projet crocodiles étaient violents
- trop violents pour être vus par le public, et en particulier par les enfants
- les enfants, vous savez, ces petits êtres bien pratiques pour les culs-bénis
de tout bord, parce qu'ils permettent de justifier toutes les formes de censure
et d'inégalités, même si dans le même temps on peut les exposer à la publicité
et à toutes les représentations de la féminité soumise et hétéronormée, par
exemple avec les immenses affiches vantant le prochain salon de l'érotisme.
(Autre intérêts des enfants pour nos amis bien pensants c'est évidemment qu'on
peut en acheter les faveurs pour pas cher quand on voyage en Asie du Sud-est - vous savez, ce n'est pas facile
d'être un censeur, il faut pouvoir se détendre aussi de temps à autres.)
Notre Julie, donc, et notre cher Jeanlin Mouduc avec elle,
ne veulent pas exposer les enfants à la violence des témoignages du projet crocodiles.
Je propose donc dans la même veine qu'on interdise les témoignages de victimes
de guerre - c'est quand violent tous ces gens qui se font bombarder déplacer
gazer, etc, pourquoi est-ce qu'on en parle ? Moi ça m'agresse. De la même
façon, c'est surtout pour vous Christophe, il faudrait cesser de s'apitoyer sur par
exemple la souffrance au travail, je comprends bien - c'est tout de même violent de
s'entendre dire que le travail et le capitalisme broient.
En revanche, ce qui
intéresse la mairie, c'est plutôt la souffrance des commerçant à qui les jeunes
ne disent pas bonjour et devant la vitrine desquels les chiens des SDF font
parfois pipi - ça c'est d'une violence insoutenable et cela il faut le dénoncer.
Ou la souffrance de tous ces gens qui lisent du Zemmour en sachant pertinemment
qu'il ment comme un arracheur de dents pour leur faire peur et se faire peur,
mais ça on ne va pas interdire, on ne va pas prétendre que c'est trop violent,
vous comprenez, là c'est les gens bien qui souffrent, pas les femmes - enfin
quand je dis femmes je veux dire pas les vraies femmmes, les qui se
respectent ; je parle bien entendu de mes sœurs les pétasses, les goudous,
les paumées les salopes, enfin bref, toutes les femmes trop violentes pour
qu'on en parle et qui ferait bien de savoir où est leur place si elles ne
veulent pas prendre leur compte en rentrant ce soir.
Très sérieusement mes chéris, quand on voit la bêtise de la
droite, et de l'extrême droite, et leur combat d'arrière garde contre l'égalité
des sexes, contre le droit des genres et contre la liberté de chacun, on a les
ovaires qui gonflent ; mais on se souviendra que les manifestations contre le
film La vie d'Adèle n'ont fait qu'attirer l'attention sur Le Bleu est une
couleur chaude, le magnifique album BD de Julie Maroh.
Donc, je vous invite à
découvrir le projet crocodiles et l'album publié aux éditions le Lombard en
remerciant encore notre équipe municipale pour ce coup de publicité.
Pas d'orgasme ce soir, je suis trop en colère, mais je vous
aime d'amour, à la prochaine fois.