9.5.11
969 - Apprendre le croate avec une équipe de rugby (épisode 1)
1) Premier jour : hvala
Le premier mot que nous apprîmes fut hvala, (prononcer plus ou moins "voilà"), qui signifie "merci" : un groupe aux polos identiques - malgré quelques réfractaires - hall contrôles frontière avion aéroport, puis, descendant de l'avion, des cyprès et des roches, une lumière douce, une rangée de bus, attendre, hésiter, écouter les explications d'une guide au sourire croate (hvata, synonyme de "parcimonieux"), hôtel, valises, chambres, bracelets de touristes, briefing aux allures de cours magistral, restaurant - où nous apprenons que le mot allinclusive signifie plein de trucs gras et pas très bons. Remontés dans le hall vide, première connexion avec l'alcool local (slivovic, qui signifie "tousser en pleurant"). Et puis au lit parce que demain match, non mais.
Hvala, hvala - première journée.
2) Deuxième jour : ragby
La Croatie est un pays côtier, du moins sur sa côte. Côtier, et montagneux : monter dans le bus et enchaîner les virages en direction de Split, quelque 250 kilomètres au nord. Des paysages abrupts sous un ciel préoccupé ; nous dormons à tour de rôle. Petite escale technique dans le premier pays traversé - oui, parce que là-bas, la frontière est une valeur d'avenir, on en met dans tous les sens. Bienvenue en Herzégovine, donc (on dit BiH), où le prix des cigarettes et du café ont baissé depuis la guerre (la guerre ? Quelle guerre ? Nous n'apprenons pas ce mot).
Arrivée à Split, où, sans doute troublés par cette histoire de frontière, nous marquons notre territoire en pissant un peu dans tous les coins - qui sur un arrêt de bus, qui dans les douches des vestiaires, au grand dam d'un dirigeant local.
Le ciel est devenu jaune, le terrain est sec, cerné d'immeubles bas ; par un boyau étroit, une guide anglophone nous conduit vers la vieille ville. Elle nous parle, entre autres, de sa passion du ragby, du club local du Nada Split (qui joue sur l'ancien terrain du Hajduc, les footeux locaux), des festivals de la ville...
Je n'écoute que d'une oreille. D'une part, notre gentille guide a tendance à ne parler qu'en présence d'une source de bruit (troupes krishna, sono, marteau piqueur), d'autre part je suis déjà dans le match.
3) Maaaatch
Le mot suivant que nous apprenons en croate est le mot golgoth, qui désigne un ailier plutôt frêle. Pour te donner une idée du premier contact avec nos adversaires, il faut que tu comprennes que nos deux plus grands joueurs arrivaient à peu près à la hanche de leur plus petit golgoth. Crois-tu que nous avons eu peur (euh, oui) ? Fi donc. Personnellement, je les ai regardés droit dans les genoux.
S'affrontaient donc, ce jour-là, deux équipes croates (le Nada Split, déjà cité, et une autre dont je n'ai pas compris le nom, menée par un golgoth souriant et moustachu immédiatement surnommé Astérix), une équipe italienne et les Gonins partis à l'aventure.
Première impression : c'est des monstres. Au cours de la première rencontre, on regarde les Croates démonter de l'italien à la cisaille et au burin, et on sent qu'on va pas avoir un match facile.
Puis c'est à nous. Première équipe de Croates, bon : du gros plaquage, du hors-jeu comme s'il en pleuvait, et, tiens, cet arbitre qui ne semble pas connaître les mêmes règles que nous. On passe deux ou trois fois, avec des ailiers si bien servis qu'ils finissent épuisés, par laisser un talonneur marquer en coin ; la touche est pénible parce que les gros ne peuvent pas sauter, m'en fous je joue troisième pompe, c'est Fifi qui fait les lancers et rattrape mes erreurs de défense. Je ne me souviens pas avoir touché un ballon, mais bon, on n'est pas là pour ça, on est là pour gagner, oui.
Repos en regardant, je suppose, les petits Croates manger les italiens.
Et bientôt c'est à nous, pour la suite.
4) MAAAAAAAAAAAAAATCH !
Le mot suivant que nous apprenons en croate est le mot ankulajasec, qui signifie "arbitrage maison". Si on a tout bien compris, dépasser la défense adverse avec un ballon en mains est défendu ; nos en-avants sont sanctionnés par des pénalités, les leurs... bin eux, ils n'en font pas, comme explique Stéphane dans un anglais parfait à un arbitre ébahi (quoi, c'est pas ça qu'il lui a dit ? ah bon, j'avais mal compris).
Et ces regroupements... un festival de plongeons. Pas étonnant que les types soient forts au water-polo.
Ramasser un ballon qui traîne est synonymes de coups de boules et de découpage en biseau. Ca sent la guerre de tranchées.
On est à la limite de flancher. Ou plus exactement, on serait à la limite de flancher si nous n'étions pas des Gonins.
Bon, on va pas se laisser emmerder par des croates, si ? Au cul, les cro(a)tes, s'exclame l'un de nous dans un élan lyrique. Veulent jouer aux cons, bin, on est là... (Oui, je l'admets, c'est toujours un peu, le rugby. Le sport en général, peut-être. Le moment où on est nous et ils sont eux. Mais bon, c'est sur un terrain, alors ça passe, je suppose).
Dans la dernière mi-temps, Fifi est chargé des échanges linguistiques : "Ah, tu parles français ?" demande-t-il à son vis-à-vis en mêlée. "Alors tu comprends 'ta gueule connard' ?".
Il est donc logiquement chargé sur-le-champ des échanges de baffes.
Je me souviens d'un défilé de jambes interminables à cisailler, de lancers de merde en touche, de plaquages (réussis), de plaquages (moins réussis), de regroupements, de plaquages... Bref, de la solidarité et du jeu d'avant. Avant-guerre, sans doute.
Et puis à un moment, c'est fini. O-O. On a gagné.
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