Je n'aime pas rêver de Brignemont.
La maison a changé. Les nouveaux propriétaires n'ont pas fait de travaux, mais le jardin est plus beau, moins immensément vide.
Mon ex me dit qu'un tigre a sauté dans la mare, l'éclaboussant jusqu'à la poitrine - elle parle d'un crapaud, évidemment.
Les faîtières sont envahies de mousse. Je me dis que si j'y étais encore, j'aurais dû m'en occuper. Grimper à nouveau sur le toit et récurer les tuiles.
Je me dis que j'ai bien fait de partir.
Mais la culpabilité ne s'en va pas pour autant. Je me demande ce que seraient devenus les garçons si je n'avais pas fui, brisé le rêve d'une maison de famille.
Mon père est là, il m'aide à nettoyer - je me demande pourquoi nous nettoyons, d'ailleurs. Il semblerait que la maison soit à nouveau vendue, cette fois à une excentrique artiste américaine qui porte un béret en fourrure (à ce qu'on me dit, je ne la connais pas). Je pense qu'il faudrait lui signaler que les anciens propriétaires étaient deux écrivains - mais non, en fait, c'était une autre vie, une autre épouse, il n'y avait pas d'écrivain là-bas.
Ou ils l'ignoraient tous les deux.
Nous nettoyons une pièce qui n'existait pas vraiment - la cabane à outils que j'avais construite, peut-être.
Mon père est calme, comme toujours. Il balaie. Je me retiens un certain temps de lui dire qu'il est mort, pour profiter de sa présence. Puis je le lui demande, enfin - est-ce que tu serais toujours là si j'étais resté ?
Je lui dis une phrase qui ressemble à
JE VEUX QUE TU REVIEEEEENS
- je l'ai perdue désormais, il y avait une faute de grammaire et je me suis réveillé la poitrine secouée par la plainte.
Je n'aime pas rêver de Brignemont.