11.7.07

Le petit couple de l’emplacement D28 à Port-Leucate

Nous quittons la plage vers six heures, il a fait chaud, nous sommes restés trop longtemps, nous avons pris des coups de soleil. Et puis tu t’es encore endormi en plein cagnard, tu as mal à la tête et tu râles sur ce type qui bloque ta voiture au parking et t’oblige à faire des manœuvres pour sortir. Il y a du monde sur la route, on va encore mettre une heure pour rentrer au camping. Je traficote la clim qui n’arrête pas de tomber en panne, je louche dans le miroir de courtoisie : cheveux collés par le sel, nez cramoisi, des paillettes de sable incrustées dans les ridules autour de mes yeux. Mon maillot de bain est encore humide, je me tortille sur le siège, ça me pique et me démange de partout, ça t’énerve que je bouge comme ça. Je me dis que je déteste la plage, tout ce temps passé à ne rien faire au milieu d’autres larves qui se retournent à mi-cuisson, et puis je déteste le camping, pour un peu je détesterais bien les vacances alors que ça faisait un an qu’on n’attendait que ça. Je regarde les gens dans leur voiture, ils ont tous la même tête que nous, hébétés de soleil, rouge pivoine, l’air méchant. Je les trouve moche et je suis sûre qu’ils sont cons. Tu te tais, tu pousses de gros soupirs, tes doigts impatients pianotent sur le volant. Je t’informe qu’il faut faire les courses pour les trois jours qui restent. Tu grognes que j’aurais pu y penser plus tôt, il fallait prendre à droite, maintenant on va devoir faire un détour, est-ce que ça ne peut pas attendre demain ? Je réponds que non, il n’y a plus rien, la glacière est vide, déjà à midi on a dû ouvrir des sardines. Tu rétorques que récemment, ils ont inventé un truc génial, ça s’appelle le restau, on pourrait essayer, après tout les vacances c’est aussi fait pour ça. Je dis qu’au cas où tu ne t’en souviendrais plus, on a choisi camping parce qu’on n’avait pas les moyens de l’hôtel, alors le restau, tu l’oublies, t’es gentil, surtout qu’ici c’est tellement bondé de touristes que tout est hors de prix. On va faire les courses, point. Tu marmonnes quelque chose. Je comprends « tu es chiante ». Je réponds « toi aussi ». Et tu fais demi tour. Au supermarché, il est passé tellement de monde dans la journée que la plupart des rayons sont vides. Il y a quand même la queue aux caisses, tu insistes pour que nous prenions chacun une file d’attente, pour aller plus vite au cas où. Tu sais bien que je déteste ça, au dernier moment on ne sait jamais qui doit rejoindre l’autre, et puis quand on se décide, on tombe sur la caissière qui ne sait pas changer le rouleau. D’ailleurs ça ne rate pas. Je te dis que je te l’avais bien dit. Tu me regardes comme si tu allais me gifler. Et quand notre tour vient enfin, et que la caissière annonce le total, tu glisses d’un ton très froid qu’à ce tarif, on pouvait manger toute la semaine au restau. Je m’imagine en train de te gifler devant tout le monde, ça nous fait au moins ça en commun.

Au camping, la tente plantée en plein soleil contient toute la chaleur du Sahara, l’odeur de renfermé en plus. Je râle parce qu’il fait trop chaud, parce que c’est trop petit, parce qu’on va mal manger, mal dormir. Tu dis que je n’avais qu’à choisir l’emplacement, et puis trouver un boulot mieux payé tant qu’à y être, comme ça l’année prochaine on ira aux Seychelles. Je hausse les épaules, je suis trop fatiguée pour me disputer avec toi.

Il faut faire la queue au bloc sanitaire, il n’y a plus d’eau chaude, les douches sont sales, et les gens sont toujours aussi moches, avec leurs tongs et le ventre qui déborde du maillot de bain. Tu as oublié ton savon, je t’envoie le mien par-dessus la cloison, avant nous prenions notre douche ensemble, aujourd’hui nous n’y avons même pas pensé.

Nous mangeons aussi mal que prévu, les tomates sont insipides, le steak est plein de nerfs, les haricots en boîte ont le goût de haricots en boîte. Tu me fais remarquer que si j’avais pensé à prendre du beurre, on aurait presque pu trouver du plaisir à manger.

Le soleil s’est couché mais la chaleur sous la toile ne cède pas. On s’installe dehors, le tissu synthétique des transats nous colle au dos et aux cuisses. Tu prends un livre, le même depuis le début des vacances, un best seller corné dont tu ne viens pas à bout ; je m’escrime sur un sudoku, je n’arrive pas à dépasser le niveau 2. De temps en temps tu me regardes faire avec un coin de la bouche relevé, comme pour dire que ça se confirme, les chiffres c’est vraiment pas mon truc, d’ailleurs c’est quoi, mon truc ?

Nous allons nous coucher dans la chambre occupée tout entière par le matelas pneumatique. Nous faisons l’amour dans le noir, malgré les coups de soleil et l’absence d’envie, parce que nous avons dit que nous mettrions un bébé en route cet été. Il est temps, bientôt nous n’aurons plus l’âge, nous pensons que nous voulons tous les deux un enfant, ça nous rapprochera. Le matelas couine, pas bien longtemps.

Nous nous endormons dos à dos, sans nous toucher, sans nous parler.

Demain, on recommence, on retourne à la plage. Plus que trois jours, c’est les vacances, il faut en profiter.


… Mon amour, si un jour on fait mine d’en arriver là, promets-moi que tu me débrancheras.

(et continuons de vivre le contraire de tout ça…)

3 commentaires:

Manu Causse a dit…

Vade retro camping gaz...

Ma princesse,
le jour où on en arrive là,
(parce qu'il y a toujours un moment où on n'en est pas loin),
je t'aimerais quand même.
Peut-être même que je t'aimerais encore plus.

Et puis ne sais-tu pas que tous nos rêves se réalisent ? Alors, fais de beaux rêves, au lieu de me raconter "Camping" que je viens de me taper sur Canal (encore pire que ce que je pensais).

Ecoute.

Ce sera le même jour, les mêmes gens, les mêmes mots.
Et quand je te regarderai, je verrai, comme toujours, la beauté simple des choses qui passent.

Et je l'aimerais bien, moi, ce camping. Et je me serai faufilé dans ta douche. Et au supermarché, on aura rencontré une normalienne caissière, un philosophe fou, un cupidon amateur de kiri ou un couple de tongs échangiste - enfin, un truc qui nous fera rire et écrire toute la soirée.

On n'aura sans doute même pas de quoi se payer un camping. A la place, on sera parti avec ma vieille fiesta cabossée, n'importe où, avec juste des carnets, une guitare et quelques bières. On ne saura très bien où on est - ce sera juste pour le reste du monde qu'on aura quelques doutes.

Et puis, sous les étoiles, on se fera un aller simple pour Aldebaran, avec retour pour les croissants-abricots du matin.

C'est comme ça, l'arrière-pays.

Anonyme a dit…

Wow.
Vivement l'arrière-pays, les rêves.
Vivement demain.

Anonyme a dit…

Au moins vous partager quelque chose,même si ce sont des angoisses.
Moi je me fais la plage,l'hotel et l'amour tout seul je partage mes joies et mes angoisses.
La solitude est un plat qui se mange seul.
Aimer vous jusqu'a la fin car il y en a toujours une;et n'arrêter pas de vous aimer.
Je vous aime bien moi.