25.2.14

1073. Rentrant à peine

A peine, justement.

Je vais te dire : il y avait toute la famille, et les copains, même ceux qu'on avait pas vus depuis des.
Il faisait beau, évidemment. Du beau avec des amandiers et des mimosas en fleur, avec le ciel rayé du blanc des avions partant vers la mer.

On a chanté le Se Canto, parce qu'on chante toujours le Se Canto. Et moi j'ai chanté pour toi, chanté peut-être pour la première fois sans me demander ce qu'il fallait faire pour que ce soit joli. Le joli, tu sais, je m'en fichais.

Il y avait comme d'habitude les rires qui nous soudent contre le chagrin ; il y avait des gens bien.

Je vais te dire : il ne manquait rien, pas même ce moment où l'on reçoit les invités dans la maison transformée en hall de gare, et où je m'aperçois que ma belle chemise est tachée et que je n'en ai pas d'autre. Je t'ai cherché un instant du coeur et du regard avant que la réalité  me souffle doucement à l'oreille que ce coup-là, tu ne me prêterais pas ta deuxième belle chemise.

Je vais te dire : Maman était belle et forte et courageuse, et les filles aussi. Et puis tous les autres, les qui me disaient ton nom, les qui se souvenaient, les qui en tremblaient, qui en secouaient la tête.

Je suis sûr que tu t'es marré comme nous de la dégaine du type en noir et de sa componction professionnelle ; sûr que comme moi, la plaque non voulue t'as fait rire et pleurer en même temps.

On m'a dit que je serai inconsolable. Ca tombe bien : je ne veux pas me consoler, je ne veux pas qu'on me console. Je veux, comme me l'a dit ton vieux copain, ne jamais oublier, ne pas passer un seul jour sans penser à toi.

Je vais te dire : il y avait toute la famille, et les amis. Et même toi.
Toi, surtout.

Il paraît que la vie reprend bientôt. Je ne sais pas. On verra bien.

18.2.14

1072. L'éducation au bonheur

Je n'ai pas été un bon père, m'a dit mon père quand mon père parlait.

J'ai protesté. Trop longtemps que j'usais des fauteuils de psy, cherchant à tout prix des responsables à mes angoisses. Des réponses aux questions que je m'infligeais. J'avais fini par comprendre - juste à temps, juste trop tard - que le bonheur est là, dedans. Un choix de vie, de perspective.

J'ai rassuré mon père. Mon corps, où se posent les idées les plus bizarres, mon corps est tout de lui - depuis qu'enfant il m'apprenait la langue des dauphins ; depuis qu'il me guidait sur les terrains et dans les salles, depuis qu'il me sauvait, depuis qu'il m'avouait ses doutes ; depuis qu'il m'indiquait où se trouve l'intérieur de soi.

Je pleure sur mes mains, pareilles aux siennes - pareilles aux siennes avant. La maladie achève de transformer son corps. Ces derniers jours je l'ai tenu contre moi - et sa force, la vibration familière de ses muscles, son élan vital est toujours là. Quand tout le reste a fui. Nous le faisons fuir, avec la souffrance, en perfusion.

La tribu est là. Nous vivons un temps absurde - le présent du verbe mourir.

L'amour de mon père est ma montagne.
Mon arête. Mon sillon.

Et le petit cerveau fouille et s'affole, capable de comprendre, de projeter, de se souvenir -  pas de saisir le chagrin qui s'accumule et crève la surface du réel.

Dans mes rêves, je le vois debout, bras croisés sur la poitrine, râlant de la direction que j'inflige à la voiture. Et je me réjouis de le voir, de l'entendre bougonner. Il va si bien, dans mes rêves.

Dans mes rêves, il guérit.




13.2.14

1071 - Dernières nouvelles

Sans cesse, mes pensées retournent vers le pays d'enfance.
J'en reviens - j'y étais mal.
Je suis mal ici aussi.
Je voudrais retourner dans un ailleurs du temps, celui d'avant la maladie. Celui des randonnées en vélo, du bricolage, des marches. Des repas en famille.

La tribu se serre les coudes. Nous apprenons que même la mort demande de la résistance : non, nous n'irons pas, il n'ira pas, à l'hôpital. Plus rien ne le justifie. Je vous assure, docteur. Même quand votre langage s'enfle - nous savons, vous voulez le mieux.

Sauf qu'il n'y a plus de mieux. Sauf que le coeur résiste à ce que la tête a compris. Sauf qu'il est chez lui, chez nous. A sa place.

Plus que jamais j'éprouve la solidité de nos liens.
Je me dis que tu en es fier, encore. Tu es encore là.
Papa.

Nous achetons des kilos de nourriture et restons pendus à nos téléphones ; agitation inutile, opiniâtre.

J'ai trouvé dans mon ventre un simple bouton sur lequel j'appuie pour tenir ma promesse - rester heureux quoi qu'il arrive. Me montrer digne de toi qui m'as montré le chemin du bonheur.




10.2.14

1070. Histoires courtes

A)

Terrifié et vaincu, j'ai posé la tête sur le billot et fermé les yeux, jusqu'au moment où




%)

Beaucoup pleuré hier.
Puis cherché dans mon ventre l'endroit/la force de rester heureux.
Triste, abattu, accablé, furieux, perdu, désemparé.
Mais heureux. Décidé à vivre.

Utiliser cette exigence matinale de travail, d'accomplissement,
pour goûter le plus justement possible à chaque jour.


&)

Qui a dit qu'on pouvait
mettre des mots sur les prières ?








9.2.14

1069. La tête à l'envers

On

aimerait parfois vomir sa douleur
une fois pour toutes

l'extirper du milieu où
elle palpite
sans s'évacuer

chier sa tristesse
dégueuler le malheur

et se
cogner la tête contre un mur crépi
jusqu'à
ce qu'elle éclate et répande avec elle

les restes de chagrin accrochés aux parois
accoucher de sa peine

cureter, dilater
s'abandonner à l'égout


puis s'éloigner du caniveau,
transparent, allégé,
le ventre miraculé de ce soi-même

Oh oui qu'on aimerait, oh oui qu'on nous l'extirpe
quitte à prendre avec ça
la vie et tout le reste
pourvu que cesse
le chagrin qui bat
la cadence du coeur

cette ordure de coeur ;

on aimerait parfois
ne plus se retenir
à rien

et que le silence
se taise
enfin.

7.2.14

1068 - En creux



cette étrange joie à profiter

de la perspective de tout perdre.




6.2.14

1067 - In nomine patri, ep. 1

Au commencement était le verbe,

et déjà tu vois le.

? Le verbe parce que la parole parce que le concept (et du point de vue de l'individu ça se tient, au commencement était le verbe, la possibilité de formuler /ce/ que l'on vit, de /se/ concevoir comme truc qui pense et est pensé par lui-même) ?

? Le verbe comme action vitale, impulsion d'énergie animant aussi bien le Big bang que la course des spermatozoïdes ou la vibration de la corde de La d'une basse ?

Mon père m'emportait sur son dos pour traverser la piscine, 
dans le soleil bleuté, 
l'odeur d'éther et de chlore 

Sa peau dorée me racontait
la langue des dauphins.

Et en ce temps-là Dieu
n'était pas mon cousin.

5.2.14

1066. There'll be some changes made

1. En apparences

Tu sais quoi ? Je vais reprendre l'habitude de bloguer plus doucement et directement. Comme ça vient. Là, déjà, je supprime la photo. Ensuite, peut-être que je numéroterai moins. C'est chouette pour Chevillard qui le fait encore, mais. Et puis... et puis je ne sais pas. C'est qui est.

2. Un bout de

En plein coeur de sa vie, il découvrait

(par un concours de circonstances, ou un hasard nécessaire)

une langue nouvelle
/étrangère, inconnue/
qui possédait un mot pour désigner

la couleur exacte d'un champ au bord de l'autoroute

un jour de soleil où il allait rejoindre son père pour parler
une première dernière fois

(dernière première fois)

Un mot

qui contenait

(le souvenir de)

l'odeur
d'une femme qu'il avait aimée pour son odeur

qui revenait le hanter parfois

aux lisières du rêve.



3. Comment ça, on ne dit plus "chouette" depuis longtemps ?

4.2.14

1065 . Vers une théorie du genre numérique

... déjeuné avec A. hier ; encore des idées sur le numérique. Qui stratifient avec celles qui n'ont rien à voir...
Pas paru (encore)

1. Ce que m'apprit mon père

Une psydame me disait l'autre jour, parlant de l'Eau des rêves : "J'ai été surprise par la palette des sentiments. La richesse". Outre que flatté je fus, je me suis dit que je tenais cela de mon père - je pense beaucoup à mon père en ce moment. Cette capacité non seulement à ressentir, mais à accepter son ressenti.

Je l'ai longtemps cru insensible. Je le découvre aujourd'hui souvent submergé par ses émotions.

Nous, hommes du XXe siècle, avons presque appris à laisser remonter à la surface ce qui passe dans les profondeurs.

Voilà une vraie richesse.


2. Avec l'image attachée

Jours non pas de colère, mais de rage - comme on dit d'un chien victime d'un virus. Moi aussi j'éprouve parfois une crainte aux images de ces fiers-à-bras revendiquant médiocrité, grand bond en arrière et muselière pour tout le monde ; je les lie non seulement à une vision enkystée de l'existence, mais à un modèle survendu par les chaînes de télévision et de vidéo - l'homme-bête décomplexé, fasciné par le pouvoir et le triomphe sur l'autre. Egoïste en ce sens qu'il souscrit aveuglément à la tyrannie de lui-même - vouloir encore, toujours, davantage ; s'élever dans une hiérarchie en écrasant les autres et en fermant les yeux sur ce qui l'écrase. Une dé-religion où prédominent les attributs du succès (dont le statut matrimonial), caricature du bonheur.

2 bis. Empilé

"Ma fille, elle fait ça, je la tue", me disait un collégien il y a quelques semaines en parlant de la fugue de l'héroïne dans Roméo@Juliette. Je me souviens de ma peine à entendre un adolescent affirmer ainsi (coup d'oeil à droite, coup d'oeil à gauche, qu'en pense la prof ? Est-ce que les filles m'apprécient d'affirmer ainsi le carcan de ma morale sur le féminin que je possède potentiellement ?) l'opposé de mes rêves de liberté à son âge.

Images, donc. Cet empilement de l'ère numérique. Je repense à cette nouvelle de (Pierre Boulle ?) où un Einstein philanthrope imagine une bombe destinée à couvrir un pays ennemi de fleurs pacifiques. Dont la production s'affole, étouffant la population sous un lit mortel.

Nous voilà recouverts d'images.
Ce que la littérature peut y faire ?
Montrer le chemin je suppose.

3. Résolutions, révolution

Hier soir malgré ma fatigue physique et mentale je n'ai pas allumé mon ordinateur pour suivre la chaîne d'images d'une série.
Hier soir malgré mon envie de distraction je suis resté immobile, écoutant les notes d'un bel album live s'égréner.
Hier soir malgré le manque d'envie et le jugement négatif j'ai repris un carnet à dessins.
Hier soir malgré la peine et la pénibilité j'ai repensé à ce long texte (oui, mal traduit, oui sur fond noir peu lisible, oui surtout exprimant une réalité difficile à supporter) de Stig Dagerman, dont je t'extrais

En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d’un souffle de vent dans la cime d’un arbre, je me dépêche de m’emparer de ma victime.
Qu’ai-je alors entre mes bras ?

mais prêtes-y un oeil, une oreille, même patiemment. Il souffle des choses dures comme des solutions.
Hier soir j'ai accepté ma peine et le silence.

4. En pratique

Pratiquement ce matin des liens qui ne sont pas - exclusivement - publicitaires. Et puis écrire au lieu de s'engouffrer dans le commode du travail. Voire (pourquoi pas, une fois n'est pas coutume) oser le débat vers le haut.

En exigeant beaucoup des mots

et

du

silence

entre eux.



2.2.14

1064 - Terminer ce que j'

 ... oui, parce que demain je vois A., numéditrice de son état, et que je m'étais un peu engagé à donner mes rares idées sur le.


Quand on lui montre l'ampoule, le sot regarde la lune.
  1. Création

Alors voilà : la parution numérique, pour moi, c'est soit un plus - pour l'instant très marginal - à une parution papier, soit une parution un peu hors-norme, comme cette nouvelle en forme de bamboche ou bien ce conte-là*. Des choses que, à cause de leur format ou de leur contenu, les éditeurs papier ne souhaitent pas accompagner.

Evidemment, pour l'auteur comme pour le lecteur, il peut y avoir un côté sous-littérature.


On a tous dans nos têtes une jolie petite hiérarchie de valeur, depuis la toute première parution - ou le poème lu à la fin d'un repas de famille arrosé - jusqu'à la consécration.

A ce sujet, je me dis parfois que le jour où j'aurais vendu dix millions d'exemplaire d'un roman éblouissant (pour lequel, me connaissant bien, je n'entendrais que les critiques - et il y en aura, parce que contenter dix millions de lecteurs n'est statistiquement pas possible compte tenu du pourcentage des gens qui ne supportent pas d'être dans la majorité), ben je me dirais que merde, j'aurais pu en vendre 20, ou que le prochain ne pourra pas fonctionner aussi bien, ou va savoir quoi. Je ne sais pas pourquoi je te parle de ça ici, mais bon, hein, tu vois ce que je.)
 ,
Bref, dans mon écosystème intime, j'ai fait une place à la parution numérique, et un de mes prochains bouquins sera un roman intitulé Il et elle sont dans un bateau dont tu as peut-être lu une première mouture intitulée E(u)x sur un site gratuit.


2. Interruption momentanée de nos programmes

Pardon pour le cocalanne**, mais d'une part j'en ai déjà marre de faire ma pub sur ces colonnes, d'autre part Cavanna est mort et j'aimais Cavanna. C'était un de mes auteurs chéris d'ado, avec Cauvin, Irving, Pirsig et San-Antonio. Et il n'y a rien à dire quand quelqu'un meurt à part -

je l'aimais, il nous laisse seuls.

3. Là où je voulais en venir

Je sais, ça fait louseur de se plaindre, mais voilà : je regrette la difficulté pour l'instant de convaincre des éditeurs numériques (aussi bien que des éditeurs de logiciels ou d'applis, d'ailleurs) de travailler sur la forme numérique elle-même. Tu te souviens peut-être que je m'amusais dans le temps à faire des choses comme ça.




J'aimerais bien poursuivre dans cette veine, seulement voilà : il reste difficile de trouver un éditeur pour ça.


4. Qu'est-ce qu'un éditeur ?

Bon, c'est peut-être parce que c'est dimanche journée (enfonçage de) portes ouvertes, mais pour moi un éditeur c'est/ce devrait être

- la ou le type*** qui te dit que tu es un auteur, et te bottes le cul pour que tu progresses,
- la ou le type qui sait comment faire exister ton livre,- la ou le type qui sait comment le faire lire.

A savoir que nos amis les américains en font souvent trois métiers différents (editor, publisher, publicist, sans compter les agents) et que des fois sont pas cons, ces ricains.

5. Conclusion et moralité

Bin non, rien. Parce que bon, je n'ai pas de grande théorie sur le sujet - essentiellement parce que les grandes théories m'emmerdent. Mais voilà, c'est posé, on n'en parle plus. Ou si, si ça te.

Et bon dimanche


* Vas-y, clique, fais pas ta pince. Et cours t'acheter une liseuse ou une tablette ou un téléphone numérique ou un ordinateur ou une imprimante pour le lire. Comment tu crois que je vais acheter le veau pour les scalopina de ma princesse, hein ?
** Cocalanne : plante opiacée originaire des hauts plateaux de l'Aveyron, dont la consommation provoque de flagrants trous d'air dans la pensée logique. En Aveyronnais, on la nomme poétiquement ravageuse du causse ou plus simplement té bonjour, vous passez pour le fromage ? Non, mais j'ai oublié ce que.
*** Lutte antiphallocratie, étape 1 : doublesexer les termes génériques. A moins qu'on ne s'attaque directement à l'article ?