30.5.07

Invendus, 3e

Un remaniement du précédent.



A L’AMIABLE

Ils se sont donnés rendez-vous à la terrasse d’un café. Le temps est clair, le vent modéré. Le soleil fait des trucs marrants avec les feuilles, genre zèbre.

Il a enlevé ses lunettes de soleil, et il cligne un peu des yeux. Il a du mal à s’habituer à la lumière de l’été. Ca fait trois jours qu’il pleut sans discontinuer, il en avait marre, de tout ce gris. Ça lui faisait comme des taches sur le cœur. Des trucs pas sains dans la tête, quoi. Des trucs qui ressemblaient à des remords, à des regrets. Pourtant, d’habitude, tout va bien. Il est content de sa vie, la vie qu’il s’est choisie, la vie qu’il s’est faite.

Les filles passent dans la rue. Il regarde leur silhouette. Il leur sourit. Du fond du cœur. Pas pour les draguer, pas pour les séduire. Juste pour les remercier d’être aussi belles.

- Gros macho, va.

Il ne l’a pas vue arriver. Il sursaute au ton de sa voix. Il lui insouciant, moqueur, léger. Ca fait bien longtemps qu’il n’a rien entendu de léger dans sa voix à elle. Ces derniers temps, c’était plutôt de la colère. Du chagrin, d’abord, puis de la colère.

Et pourtant, il lui a bien semblé reconnaître une tendresse moqueuse qu’il avait oubliée.

- Qu’est-ce que tu as dit ?

- Je t’ai traité de macho. Je te vois regarder les filles depuis cinq minutes. A ton âge, franchement… »

Ah. Il s’est trompé. Ça n’a rien à voir avec de la tendresse moqueuse. C’était un ton acide et stressé. Sa nouvelle voix.

C’est marrant qu’il ait cru autre chose. On dirait qu’il a été leurré, trompé par un fantôme, l’écho d’une voix du passé. De l’époque lointaine où il y avait de la tendresse entre eux.

Il se lève pour l’accueillir. Avant, il ne l’aurait pas fait. Il voudrait sourire d’un air engageant, mais il sait qu’il est en train de faire une grimace. Il remet ses lunettes de soleil, même si le soleil, justement, vient de disparaître.

Il dit :

- Bonjour… »

Et il se retient d’ajouter un mot ancien comme « mon amour » ou « ma chérie », ou un de ces diminutifs qu’ils utilisaient, « chat », « mouyou », « poupette ».

Il se dit qu’il pourrait ajouter son prénom, ce serait plus personnel ; mais il a vraiment du mal à l’utiliser, en ce moment. Pour parler d’elle, il dit plutôt « mon ex » ou « ma future ex » ; c’est devenu comme un refrain, comme un nom de famille, « Stéphanie Monex ».

Ensuite, ils s’asseoient. Elle resserre la veste autour de ses épaules. Ils commandent des cafés.

- Tu le prends sans sucre, maintenant ?

- Je fais ce que je veux.

C’est mal parti pour la conversation. Ils se mettent à parler prudemment. Ils cherchent des sujets sûrs, des sur lesquels il peuvent poser les pieds sans s’enfoncer.

Il pense « s’enfoncer dans des sables émouvants », et puis il se dit que c’est con de penser ça.

Ils parlent des enfants, bien sûr. De comment ils s’adaptent bien à leur nouvelle école. Chacun d’eux met un point d’honneur à montrer qu’il connaît les maîtresses, le nom des copains de classe et les horaires des repas.

Ils se disent que les enfants vont bien. Ça les rassure.

Et puis ils n’ont plus rien à se dire. Elle consulte son agenda, il essaie d’écouter la conversation de leurs voisins. Au bout d’un moment, elle regarde l’heure sur son portable, et elle dit : « Bon, on y va ? »

La patronne du café vient encaisser leur table, et il pense à la chanson de Joe Dassin, avec la patronne du café qui va encore leur dire Salut les amoureux. Et il trouve de nouveau qu’il a des idées idiotes aujourd’hui. Parce qu’ils ne ressemblent pas du tout à des amoureux.

Non, la patronne dit seulement : « Au revoir, m’sieur-dame ». Le vent s’est levé, le ciel est devenu un peu gris.

Ils entrent dans le grand bâtiment, en face du café. Les couloirs sont moches, il y a des gens en costume. Dans la salle d’attente, ils ne se regardent pas. Ils se sont assis l’un en face de l’autre, comme par hasard. Ou parce que ça leur aurait fait bizarre de s’asseoir côte à côte. Ils attendent dix minutes en lisant les affiches sur les murs.

Quelqu’un vient les chercher. On les fait entrer dans le bureau du juge. De la juge, plutôt. C’est une femme, et elle est jolie. Il la regarde du coin de l’œil, mais elle a un air sévère et revêche.

Elle leur demande s’ils sont d’accord, leur fait signer un papier, leur donne quelques informations. Puis ils sortent.

Ça lui rappelle un peu leur mariage. Sauf que là, ils ne sont que tous les deux. Il n’y a personne pour les applaudir, les féliciter, leur jeter du riz. Personne pour les embrasser.

Dehors, il s’est mis à pleuvoir. Ils se séparent sans se faire la bise.

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