8.3.13

1032 - Journée de la

I used to be a child
1. En attendant Danièle

Une première, puis une deuxième comédienne qui jette l'éponge sur En attendant Daniel, solo pour une femme (ou un homme)... j'en serai presque à, également. Seulement voilà, je n'aime pas laisser des choses traîner, surtout quand elles me semblent.

Donc, rencontre avec une autre comédienne possible ; et l'idée que, vu qu'à l'oral je ne vaux pas grand-chose, je pourrais peut-être mettre à plat mes envies et motivations en trois mails, étalés sur trois jours...

(Au fait : je sais, pour du blog, c'est long, surtout si tu viens de facebook ou twitter ; mais bon, courage, ton cerveau d'avant internet a survécu, et je mettrais des petits points rafraîchissants de temps à autres, histoire que tu puisses)

2. Le point de vue de l'auteur


pour préparer une prochaine séance de travail, je me suis demandé ce que je dirais du texte si je me positionnais seulement du point de vue de l'auteur. Ca donne ce qui suit.

J'ai écrit une pièce sur la famille et ses secrets (Tonton Maurice est toujours mort); une pièce sur le couple (Désolés pour le chien, avec Emmanuelle Urien) ; un solo pour un homme, adapté d'une de mes nouvelles (La fête à Fred). J'ai eu envie de "compléter" cette série par un solo féminin.

A l'écriture, les thèmes du souvenir, de la dépendance et de l'échec sont apparues, ainsi qu'une volonté de laisser un sens entièrement ouvert à la pièce ; plus qu'un personnage, c'est une voix qui s'exprime, non pas pour proposer un sens, un scénario, mais pour évoquer des états d'esprit, l'enchaînement de paysages mentaux tournant autour d'une obsession.

Il y a dans mon écriture la volonté de rompre avec les notions de personnage, de destin ; avec une écriture théâtrale moderne sensationnaliste tendant à créer automatiquement une "bonne conscience" chez le spectateur, en lui montrant des situations intolérables qu'on prétend déplorer ou changer alors qu'il est confortablement assis à une place hors de prix. L'erreur d'un certain théâtre serait de se croire politique et moral alors qu'il n'est que moralisateur.
La tragédie grecque mettait en exergue la force du fatum, la lutte de l'humain contre le destin imposé par les dieux ; les pièces du XVIe et XVIIe mimaient l'effondrement d'un ordre social pour mieux le rétablir. Le XXe siècle a travaillé sur la voix et le corps pour mimer un sentiment d'absurdité de l'existence Selon moi, le théâtre du XXIe siècle peut et doit travailler sur la notion même de sens, chercher une portée universelle dans l'exploration de l'individuel et de l'intime - en particulier lorsqu'il utilise la forme du solo.
Le solo est pour moi à la fois l'essence du théâtre et une voie à part : il exige du comédien d'assumer en plus les fonctions de marionnettiste, de conteur, de créateur même, dans un espace où il est privé de retour des autres comédiens. J'éprouve une admiration particulière pour le travail de Philippe Caubère, et j'aime penser que son exploration de l'ordre de l'autofiction nous fournit un guide pour explorer d'autres registres ; je suis très sensible à l'écriture de Serge Valetti pour la représentation du fonctionnement de l'imaginaire, de la pensée.
Enfin, le texte théâtral est pour moi, même en tant qu'auteur, un pré-texte. Comme un compositeur classique, j'aime laisser toute liberté dans le découpage, dans l'interprétation, et également offrir des "cadences" aux comédiens - des espaces où ceux-ci peuvent écrire leur propre "solo", pour mettre en évidence leur virtuosité et leur vision de la pièce. Il m'est arrivé d'avoir la chance de travailler avec des comédiens qui montaient mes textes - et je me sens alors en position de faiseur, d'artisan qui non seulement doit ajuster une robe ou un objet à celui ou celle qui la porte, mais également prendre en compte les conditions de (re)présentation, et voir en toute objectivité ce qui "fonctionne" ou ne fonctionne pas dans le passage de l'écrit à la représentation scénique.
"En attendant Daniel" me semble être mon texte le plus ambitieux jusqu'à présent, en ce sens qu'il s'accepte comme magma, comme point de départ d'une exploration de la notion de représentation - une pièce construite à partir de ce texte explorerait, par une mise en abyme, les possibles représentations des représentations que se construit un personnage. A ce titre, il ne se veut que comme la base d'un travail, et non comme un ensemble définitif imposé au comédien et au public - participant peut-être, via la dissolution de la notion de personnage, à celle de la notion d'auteur.

3. N'empêche...

que je lui en suis reconnaissant, à ladite comédienne, de m'avoir poussé à exprimer les choses avec tant de sérieux que je m'en trouve pédant. Ou alors, on dit "honnête" ?

 4. Le point de vue du metteur en scène
 
(je continue à préparer une séance de travail...)

On parle de note d'intention. Mon intention est donc simple : transmettre au spectateur des émotions brutes.
Notre cerveau/mental/esprit construit en permanence des explications et des anticipations par rapport à ce que nous percevons. C'est ce qui nous permet de survivre (je sais qu'un lion avec de grandes dents est dangereux parce que j'ai appris dans mon passé que les grandes dents faisaient mal) mais nous plonge souvent dans la souffrance (j'anticipe une situation potentiellement douloureuse et en souffre par avance).
Dans "Daniel", la voix/personnage est dans cette situation : elle nous livre des images, des sensations et des sentiments, qui la maintiennent prisonnière de l'espace scénique, mise en abyme de son espace intérieur ; la fin du texte constitue la seule "sortie" de ce mouvement circulaire - offrant au spectateur de prendre la place du personnage. Il s'agit donc pour moi de mimer tous les sentiments que l'autre, en tant que proche, peut faire naître en nous.
J'ai travaillé avec une première comédienne qui m'avait demandé de l'aider à trouver ses marques sur le texte. Nous avons travaillé sur les personnages -  une vieille dame, une petite fille, Laura Ingalls dans "la petite maison dans la prairie", l'héroïne d'un mélo hollywoodien... en fixant un parcours spatial qui permettait de "poser" chaque facette du personnage. Cette multiplicité des personnages portés par l'acteur me paraît essentielle à la mise en scène. Elle a néanmoins posé problème à la première comédienne, qui a préféré arrêter le travail.

Elle m'a présenté une deuxième comédienne, avec laquelle nous avons travaillé pendant plus de six mois, pour créer une présentation vidéo, un rendu de résidence (août 2012) et une présentation au Théâtre du Pont Neuf. A sa demande, nous avons beaucoup axé le travail sur des expérimentations sur la voix et le corps, en partant du principe que l'intégration du texte déterminerait ultérieurement nos choix de mise en scène. Le travail s'est arrêté quand la comédienne a considéré ne plus avoir d'énergie à apporter au texte ; nous n'avons sans doute pas atteint le stade où la connaissance du texte lui permettait de se libérer - il est resté une "distance" qui éloignait la possibilité des émotions que j'aurais voulu voir transmises.
Actuellement, je cherche donc à reprendre ce travail avec une comédienne "professionnelle" et/ou avec des artistes issues d'autres disciplines comme la danse, la musique ou la vidéo.
Au cours de mes recherches, j'ai vu un certain nombre de mises en scènes actuelles qui vont toutes dans le même sens : sobriété, voire monotonie, de la voix (principe essentiel du jeu), effets "multimédia" de musique et de vidéo... si elles ont souvent un certain intérêt, le côté systématique a fini par m'agacer. Je cherche donc à travailler en accord avec une comédienne qui chercherait comme moi des pistes nouvelles, et serait capable d'exprimer les émotions les plus variées avec précision. Cette "amplitude" du jeu, cette capacité à jongler entre les registres, seraient pour moi déterminantes.

5. Sinon

Je suis en immersion dans la cellule familiale recomposée au fin fond de l'Aveyron, j'essaie la douceur avec les enfants et moi-même - je leur ai toutefois tiré dessus avec un fusil, mais rien de grave - et je me suis levé ce matin avec une nouvelle pièce dans la tête. Comme quoi, hein.

 6. Le point de vue de l'homme

...en cette journée de la femme, autant se demander ce qu'il peut être; histoire de terminer ce cycle de lettres d'intention.
L'homme doute. Dans un secret pas très secret, il se voit comme un immense auteur, un de ceux qui marquent une génération, un siècle pourquoi pas ; il se veut révolutionnaire dans son approche de la littérature et de ses genres, il guette en permanence dans les changements technologiques les pistes d'une littérature nouvelle, "multimédia", dont il serait le héros. Puis l'homme regarde le nombre de ventes de son dernier roman, le nombre de représentations de sa pièce la plus aboutie, et parfois se compare avec d'autres auteurs qu'il connaît bien et estime peu ; alors, il se dit qu'il n'est rien d'autre qu'un minable écrivaillon de province (et tu sauras qu'en France, c'est bien pire d'être "de province" que minable).
L'homme veut des révolutions et des changements, mais il a du mal à quitter son petit chez-soi, au propre comme au figuré ; il est casanier de la pensée, autarcique de l'art. Il lit peu, écrit beaucoup (trop ?), change souvent d'idées tout en tournant ses obsessions en boucle. Certes, il n'abandonne jamais définitivement un projet, mais il en a tant de projets, qu'on peut douter de son investissement véritable dans chacun d'eux. A la vérité, l'échec, ou même le succès mitigé, lui est une telle souffrance qu'il multiplie les axes de travail, histoire de pouvoir toujours se réfugier dans autre chose.

L'homme se demande si un homme peut être féministe ; si un homme peut écrire et mettre en scène une pièce qui parle de la femme / des femmes, et plus généralement d'une condition "subalterne", secondaire, dépendante. Et même si c'était le cas, même si '"En attendant Daniel" pouvait devenir un texte-étendard d'une réflexion nouvelle sur le fait d'être femme, un metteur en scène pourrait-il vraiment diriger une comédienne sans devenir lui-même ce Daniel tyrannique, changeant, autoritaire et veule, que le texte décrit en creux ?

L'homme entretient avec les femmes des rapports équivoques : il érotise volontiers les relations avec elles, s'ouvre à elles de ses désirs et de ses fantasmes - et pour autant il y a sans doute là-dessous un rapport de pouvoir rampant, une recherche de domination dans un sens ou dans l'autre. Que ressent-il quand une comédienne mime devant lui l'orgasme ou la soumission, la haine ou le désir ? Sait-il rester "professionnel" ou bande-t-il, tout simplement ? Toutes ces questions, il se les pose pour celles et ceux avec qui il travaille ; est-il Pygmalion ou proxénète, dieu créateur ou démon succube - est-il important ou infime infirme ?
Nous nous sommes rencontrés dans un café ; tu avais une parole sûre et cohérente, je me justifiais en bafouillant. Pendant la majeure partie de notre rendez-vous, j'ai pensé que tu cherchais à m'expliquer sans me froisser que mon texte était mauvais, qu'il ne t'intéressait pas et que tu avais bien mieux à faire. A la fin, tu m'as proposé de travailler ensemble une ou deux fois - pourvu que je sache ce que je voulais.
Je peux me décider à être décidé, pourvu qu'on m'y force. Ou bien je peux faire de mon indécision permanente une force - ne rien figer, ne rien fixer, laisser la parole émerger d'elle-même de la gangue de nos représentations.
A plusieurs reprises, nous avons parlé de ton envie de rencontrer des maîtres - un terme qui me fait peur, évoque pour moi les sectes et les gourous, la soumission, la lutte de pouvoir. Et pourtant, si je parviens à l'entendre, il s'agirait pour te convaincre, pour te faire jouer, de  devenir un maître - au lieu de te regarder comme une possible maîtresse. L'équivoque sémantique étant, bien entendu, entièrement volontaire.
La peur, la colère, la tristesse, la haine, le désir, l'attachement, l'affection, la joie, l'allégresse, l'amour, la jouissance : voilà des axes que j'explore, dans cette pièce et partout ailleurs. Il se pourrait que nous traversions ensemble certains de ces états. La question reste : qu'en sortira-t-il - quoi de nous restera intact ?

7. Tu sais quoi ?

Attendons maintenant qu'elle dise oui ou.

8. Teaser

Coming next sur ce blog : la réorganisation des colonnes histoire que tu puisses t'y retrouver entre les oeuvres papier, les numériques à vendre, le gratuit, le tout-venant, le en-construction et le très spécial... Et joyeuse journée de la.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

comme j'en suis une... enfin, il me semble... je te remercie pour tes bons voeux du jour!! Et ton projet théâtral me donne l'eau à la bouche! Belles vacances aveyronnaise.
Signé une travailleuse toulousaine aux yeux bleus qui attend avec impatience la prochaine poule au pot musical...