19.9.11

984 - Ce que vivent les raisins

Juste ciel
1) Vendanges 

Ce ouikend, oncles et tantes et cousins arpentant les vieilles vignes accrochées aux coteaux. La hotte sur mon dos. Pourquoi sens-je maintenant davantage de gêne et d'agacement qu'il y a quelques années ? Je respire dans mes petites frustrations, tente de dépasser les remarques de mes soeurs. Les enfants s'en foutent, ils jouent sous les ceps - ou bien tentent, pour certains, d'aider de se joindre aux rangs des adultes.
Le soir, remarque joviale du cousin presque frère, plaisanterie rituelle plus ou moins ; et C., ma soeur petite, se met à hurler, un cri du fond du ventre, le corps au bord de la rupture. Je ne suis pas là à ce moment ; je suis dans la pièce à côté, son fils, mon neveu, dans les bras. Au bruit, à cette colère de loup qui s'élève, je crois à un enfant qui explose. Mais petit B. dans mes bras murmure, "Maman, elle court". Puis "Maman, elle est rouge".
Retrouver ma soeur contre le mur, à l'écart de la terrasse ; déjà dans les bras du cousin désolé. Déjà nos mains de frères apaisant les épaules, arrachant les bribes de rage entre les sanglots. Ce n'est rien. Tu te trompes. Une blague, une blague débile, oh je suis tellement désolé.
Sérieux de petit homme, toujours à mon bras - pendant que je cherche encore un verre pour mon père, avec ses béquilles et son pied cassé, oui, mon père, celui qui s'amaigrit de son cancer en guérison, celui qui ne me tremble que quelques mots d'affection depuis toujours, quand la mort nous frôle.
J'explique à petit homme, ce n'est rien, juste une bêtise. Petit homme s'apaise, il mange sur mes genoux. Je retrouve la largeur de mes bras autour de ses mains douces, le poids mouvant de son corps sur ma cuisse. Tout, tout se calme.
Mais je suis triste. Moi qui voulais les guérir.

2) Comme un haiku mais pas pareil

Et comme ce matin les gouttes nues sur le fil électrique
Et comme avant-hier le soleil sur la vigne,
Je me dis qu'on a coupé par mégarde,
avec la grappe,
l'été.


3) Retour d'affect

Ma mère a lu l'Eau des rêves. Son éternel sourire tremblait, ses yeux se mouillaient de larmes. Ce n'est pas que je n'aime pas. Ca me fait mal, me dit-elle. Je veux que tu changes ceci. Egoïste, ta démarche, souffle-t-elle entre les lignes. Cette histoire de secret, ce n'était pas notre faute. C'était la génération. Ce sont vos exigences, enfants monstrueux. J'argumente, défend, explique. Patient. Presque étranger.
(Les jours suivants, mon ventre tourne et retourne. Les premières lettres de refus des éditeurs me plongent dans le malsain. Attendre, quel mot idiot. Ecrire, quelle monstruosité.)


4)  Soutien dans l'axe
 
Retour à la table des discussions avec ma mère. E., à mes côtés, impose ses mots discrets. Justifie, s'il en était besoin.
Chaque jour, je crois, chaque semaine, nous nous trouvons elle et moi davantage dans notre nous, dans ce lieu un peu à l'écart du monde, où nous nous reposons comme des animaux fatigués, blessés, amusés. Autour de nous la foule, la foule étrangère, et ce couloir de son coeur à mon coeur, ce lien, plus large et chaud à mesure que passent les.

1 commentaire:

Khéops a dit…

Difficulté de communiquer, ces mots qu'on dit trop vite, qu'on voudrait rattraper, ceux qu'on n'a pas dit aussi et qu'on ne dira jamais plus...
Aujourd'hui, il y a 1 an que les mots de ma mère se sont évanouis...