18.2.14

1072. L'éducation au bonheur

Je n'ai pas été un bon père, m'a dit mon père quand mon père parlait.

J'ai protesté. Trop longtemps que j'usais des fauteuils de psy, cherchant à tout prix des responsables à mes angoisses. Des réponses aux questions que je m'infligeais. J'avais fini par comprendre - juste à temps, juste trop tard - que le bonheur est là, dedans. Un choix de vie, de perspective.

J'ai rassuré mon père. Mon corps, où se posent les idées les plus bizarres, mon corps est tout de lui - depuis qu'enfant il m'apprenait la langue des dauphins ; depuis qu'il me guidait sur les terrains et dans les salles, depuis qu'il me sauvait, depuis qu'il m'avouait ses doutes ; depuis qu'il m'indiquait où se trouve l'intérieur de soi.

Je pleure sur mes mains, pareilles aux siennes - pareilles aux siennes avant. La maladie achève de transformer son corps. Ces derniers jours je l'ai tenu contre moi - et sa force, la vibration familière de ses muscles, son élan vital est toujours là. Quand tout le reste a fui. Nous le faisons fuir, avec la souffrance, en perfusion.

La tribu est là. Nous vivons un temps absurde - le présent du verbe mourir.

L'amour de mon père est ma montagne.
Mon arête. Mon sillon.

Et le petit cerveau fouille et s'affole, capable de comprendre, de projeter, de se souvenir -  pas de saisir le chagrin qui s'accumule et crève la surface du réel.

Dans mes rêves, je le vois debout, bras croisés sur la poitrine, râlant de la direction que j'inflige à la voiture. Et je me réjouis de le voir, de l'entendre bougonner. Il va si bien, dans mes rêves.

Dans mes rêves, il guérit.




3 commentaires:

FredM a dit…


Cher Manu, nous sommes nombreux avec toi, à pleurer nos pères dans nos mains. Mais cela ne nous consolera pas. Je t'embrasse.

Zoë Lucider a dit…

Mon papa, il est mort quand j'avais dix huit ans. Je l'ai quitté à 15h00, à 17h00 il avait un accident, à 23H00 j'embrassais ses joues encore tièdes. On ne se console jamais totalement, mais il faut continuer à vouloir le bonheur. Je t'embrasse

Charlène a dit…

Une pensée de compassion, pour toi, ce soir.