15.10.09

751 - Une froid n'est pas couture


À de très rares exceptions près, ce blog n'est pas polémique. C'est peut-être du à ce que mon Freud intérieur appelle mon horreur des conflits (je n'aime que ceux de canard), peut-être aussi à cette idée que vanitas vanitatis et tout ce genre de chose, ou encore à l'opinion que mes avis sont transitoires, personnels, conditionnés et sans grande importance.

Mais quand je fais face au scandale, je sais me dresser tel un preux chevalier. Comme ça, hop. Ou comme un talonneur refusant la défaite odieuse.

Et là, c'est ce que je fais.
Hop, je me dresse.

rtouiaioudn,f

Bon, je me rassieds pour écrire, sinon ça.

Voilà-t-y-pas que dans mon métier-d'enseignant-que-j'ai-pour-quelques-semaines-encore (devant les monceaux de traductions qui s'empilent devant notre porte et l'amicale insistance des ministères de M'sieur Nico pour que les fonctionnaires aillent fonctionner ailleurs, cela ne devrait pas durer plus longtemps), dans mon métier donc, j'ai commandé pour mes petits 5e mignons (bande de p'tits cons) des exemplaires d'un livre que j'adore, et qui en plus est au programme, Yvain, le chevalier au lion.

De Chrétien de Troyes, Mickaël, pas de collection Hachette.

Je l'ai commandé par le truchement d'un vieux copain, dont la librairie-tartinerie gersoise vient d'ouvrir un satellite miraculeusement situé à quelques dizaines de mètres à peine de mon petit collège toulousain. Au vieux copain en question, j'ai demandé "l'édition la moins chère", pour éviter que l'élève ou sa famille ne hurle aux petits pois (expression maternelle qui va très bien ici, non ?)

Et j'ai eu la moins chère. 2,95, p'tain, c'est pas cher.

Sauf que.
La moins chère, c'était Bibliocollège de M'sieur Hachette.
Et là.

Bon, j'aurais dû m'en douter ; déjà qu'un jour M'sieur Folio m'avait fait le coup avec L'astrée d'Honoré d'Urfé, j'aurais pu réfléchir qu'on se permet de trancher des auteurs dans des livres.
Ce n'est pas Yvain, le chevalier au lion, mais Yv, l chlier a lon.

Des extraits. Je hais les extraits. Surtout quand ils sont coupés de pages genre torche-cul avec des question pédagogiques pourries.

Mais ce n'est pas ce que j'ai vu en premier. Ce qui m'a sauté aux yeux, c'est, ligne 10 de la première page, cette phrase :
Ce jour-là, beaucoup s'étonnèrent de ce que le roi se leva d'entre eux et se retira.

Non, mais vous avez vu ?
Se leva. Se retira.

Ce n'est pas juste une inconséquence, genre les dizaines de coquilles qui parsèment le texte ; pas une lourdeur supplémentaire parmi les centaines qui peuplent la traduction ; pas une injustice flagrante envers la beauté du texte, coupé dirait-on au hasard.

Ca, mon vieux, c'est une bonne grosse merde de conjugaison.

Et à moins qu'un lettré plus fin que moi me dise le contraire, quand on veut foutre un subjonctif après "s'étonner de ce que", on peut en rester au présent quand on ignore que le passé se conjugue "levât" et retirât".

Je me sens - sans ironie aucune - d'humeur à pourfendre.

Parce que les petits et moyens éditeurs avec qui je bosse paient des correcteurs pour éviter ces horreurs ; parce que des bons traducteurs d'Ancien Français, et des bonnes traductions d'Yvain, il en existe ; parce que cette collection prétendument démocratique traite ses lecteurs par le mépris. Parce que ces enfoirés d'Hachette trustent les librairies et les hypermarchés avec des livres mal faits sous couvert de culture. Parce que les petits éditeurs ne pourront pas cette année participer au Comice du Livre, pour cause d'augmentation de 115% du prix du stand. Parce que ce que j'ai vu sur les e-books ressemblait fortement à ça.

Parce que, merde.

Bon, voilà, j'ai fait mon courroux. Si mes 5e sont branchés, on pourra toujours travailler la lettre d'argumentation (programme de 4e) pour réclamer le remboursement de nos 29 exemplaires...


J'en déduis que j'ai encore une vague fibre littéraire - ce que me contestait la semaine passée un certain LLDL sur le blog "Tempête dans un encrier". On l'attend d'ailleurs au tournant, puisque j'ai défié le monsieur demain à la première heure, en lui laissant ma colonne...


En attendant les répercussions de ces vaines querelles, et tant qu'on est entre nous,


Li boins roys Artus de Bretaigne,
La qui proeche nous ensengne
Que nous soions preus et courtois,
Tint court si riche conme rois
A chele feste qui tant couste,
C'on doit nonmer le Penthecouste.
Li rois fu a Cardoeil en Gales;
Aprés mengier, parmi les sales,
Li chevalier s'atropelerent
La ou dames les apelerent
Ou damoiseles ou pucheles.
Li un recontoient nouveles,
Li autres parloient d'Amours,
Des angousses et des dolours
Et des grant biens qu'en ont souvant
Li desiple de son couvant,
Qui lors estoient riche et gens;
Mais il y a petit des siens,
Qui a bien pres l'ont tuit laissie,
S'en est Amours mout abaissie;
Car chil qui soloient amer
Se faisoient courtois clamer,
Que preu et largue et honnorable;
Mais or est tout tourné a fable,
Car tiex y a qui riens n'en sentent,
Dïent qu'il ayment et si mentent,
Et chil fable, menchongne en font
Qui s'en vantent et droit n'i ont.


Aargh... je crois que j'ai jouissé.
Même si mon Français médiéval est sacrément rouillé, mon sens de traducteur en frétille de partout.

8 commentaires:

fg a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
fg a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
fg a dit…

Une vraie grosse merde de conjugaison, en effet. Pas un fin lettré le FG, mais il pense aussi que le subjonctif s'impose. De nos jours, passé ou présent, c'est une question de style. Ici, médiéval oblige, j'opterais pour le passé tout de même. Très bonne idée le remboursement, oui, leur renvoyer, ils pourront faire des économies de papier toilette.
Allez, ce combat a dû t'affamer, je t'offre un doughnut chez Magali.

Manu Causse a dit…

Ouais on y va !
(et pour les commentaires supprimés, je sais pas c'est quoi, pensez pas que je me permettrais...)

fg a dit…

Les commentaires supprimés sont juste des boulettes de ma part. Tu peut supprimer définitivement.

Manu Causse a dit…

Je ne sais pas faire. Et ça augmente mes stats, je laisse.

fg a dit…

"Tu peux supprimer", Gosh pas ma journée. Et voilà, tes stats augmentent encore.

Oh!91 a dit…

Saine colère ! et à bas la marchandisation de la culture... Et hop ! encore un petit point sur tes stats !
Autrement, dis-toi bien que tes projets, tes désirs et tes rêves, tes doutes et tes hésitations, tes colères rentrées et que sais-je encore ton regard sur les moufflets, sur les tiens et ceux de toute l'humanité, c'est encore ce qui soutient le mieux l'espoir et le monde... Bon, à propos, je te fais confiance, et je recommanderai Zéro le monde à ceux de mes potes qui ont des ados à faire germer. J'en ai quelques uns, qui n'ont pas raté le coche comme moi. La bise.