24.6.09
702 - Consulter les oracles
Faut dire que j'avais tout fait pour. En espérant, naturellement, que ça n'arriverait pas - mais tout de même.
Madame l'Educ Nat m'écrit que, dès septembre, je pourrai faire renaître le prof en moi dans un collège de Toulouse.
Gasp ! s'exclamerait à ma place un personnage de BD.
Moi, je ne sais pas quoi dire.
Dois-je renoncer à mes journées sans suite, à mes vagues contemplations, à ma liberté toujours de passer mes journées rivé à l'ordinateur, attendant une vague traduction, l'envie d'achever quelque chose ou ce fameux contrat de ouatchif millions de dollars que Steven Spielberg devrait m'envoyer d'un jour à l'autre ?
Combien de mes amis et proches mépriseront-ils, comme je le fais moi-même, cette prostitution volontaire, cet entravement de ma volonté, ce retour en arrière ?
Et tout ça pour quoi ? L'appât du gain, évidemment. Un salaire, surtout relativement conséquent, ça fait bien quatre ans que j'ai oublié ce que c'était. Sans parler de la possibilité grassement rémunérée de départ volontaire, dont M'sieur Nicolas notre chef avait parlé, et dont l'exécution dort encore dans les cartons des ministères.
Il serait sans doute plus simple que je me rende chez mon recteur à moi, et qu'avec un sourire je lui dépose ma démission. Pour tout dire, cette perspective fait battre mon coeur vivant. Et puis bon, l'argent, c'est sympathique, mais j'ai commencé à aimer cette incertitude, ces hauts et ces bas qui tranchent sur la monotonie des revenus réguliers. Bordel, si je commence à penser à ma retraite (à part pour me dire que je la voudrais maintenant), c'est que je suis déjà mort, un peu, non ?
Sauf que la tâche. Sauf que l'hérédité. Sauf que la foi, pourtant encore, dans ces histoires de transmission.
Car dans son courrier sybillin, le rectorat indique m'avoir trouvé une place dans le collège de L., au nord de Toulouse - établissement dont un petit tour sur le Net m'apprend que, peuplé des gens des quartiers nords et de manouches, il est au moins dans les faits un collège difficile.
Et je me surprends à me fantasmer prof incontrôlable, éloigné des programmes et des cours de syntaxe pour raconter à des êtres en devenir l'histoire de la culture (oui, dans mes fantasmes, j'utilise ce mot), leur parler d'art, de littérature, de libération de soi, de créativité...
Tout ça peut-être pour que tous ces petits jeunes se tiennent bien dans les carcans de la société sarkosienne ; qu'ils acceptent avec philosophie les glorieux emplois d'apprentis manoeuvres que l'ANPE leur proposera, si tant est qu'ils n'en soient pas radiés pour avoir eu une demi-heure de retard à l'entretien que personne ne leur avait signalé.
Ou alors qu'ils aient une petite chance supplémentaire - celle, peut-être, qu'ont eu certains de mes ancêtres de devenir autre chose que ce que leur naissance leur promettait d'être.
Et puis il existe une possibilité infime (et sans doute peu rationnelle) que ce métier-là me fasse avancer dans mon travail - m'obligeant à sélectionner trier choisir les projets les voies les voix les oeuvres, les orientant d'une façon inattendue.
Ou au contraire m'en éloignant pour toujours ou presque ; me rendant peut-être à un goût de vivre (consommer des voitures m'allonger au soleil faire des grillades) qui m'a paru si vain il y a quelque temps.
Et là, par exemple, j'hésite à conclure façon prof
voici illustré un exemple de dilemme, dilemme qui constitue au fond l'essence de la tragédie classique - à ne pas confondre évidemment avec la tragédie baroque, plus proche de ce que l'on pourrait nommer mélodrame ou, pour se situer dans une perspective plus moderne, comédie dramatique, et qui privilégie l'expression de l'humain là où la tragédie classique se consacre davantage à l'impossibilité de la coexistence des sentiments et de la raison, et pour mieux dire au déchirement consubstantiel de la condition humaine... (ça devrait bien passer, ça, en 5e techno option gens du voyage)
ou, plus simplement,
dilemme mercredi, vendredi en rira.
On verra aussi ce que vous en dites. Et d'autres paramètres que j'essaie simplement de ne pas laisser m'envahir, vu que j'ai quand même quelques autres trucs à faire.
Hier soir, vernissage de Vincent Lafrance, artiste québécois en résidence au bbb, grâce à laquelle il réalise en ce moment un court métrage avec les habitants... des quartiers nord, justement. J'ai bien aimé ses vidéos autobricolées, ses jeux de l'égo, ses T-shirts et l'atmosphère de foire. Sur son site, la page "writings" m'a fait hurler de rire.
Et tant qu'à parler d'artistes que j'ai rencontrés, même à travers leurs oeuvres, le recueil Presque rouge de Sébastien Amiel m'a beaucoup plu. Plu, plu.
Comme quoi je peux aussi arrêter de faire des choses artistiques pour me consacrer à la monotonie de l'enseignement (ou l'inverse ?), vu qu'il y a des gens qui ont du talent, quand même.
Et pour justifier le titre du post, ajoutons également que les signes sont ironiquement prolixes : c'est aujourd'hui que je reçois par la poste le premier exemplaire d'Enfin seule... à vos libraires !
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3 commentaires:
je t'aurais bien laissé un commentaire, pour te dire par exemple que je comprenais tout des sentiments contradictoires - et violents - qui t'assaillaient devant l'avancée du concret (toujours irrémédiable, le concret, tu as remarqué ?), mais je dois filer à une réunion avec une petite trentaine de profs de collèges qui ont participé cette année à nos projets pédagogiques : on va en tirer un bilan ensemble. C'est cool, les profs de collège qui se laissent sortir un peu des sentiers battus !
Ah ouais gargl! On souhaite que le destin nous fasse signe et quand il le fait on le soupçonne de nous faire la nique. Un p'tit tour dans l'utilitaire ? Ce serait mieux que les mômes aient affaire à toi qu'à certains culs serrés qui n'ont qu'une envie sadique de leur faire passer le goût d'exister. Sauf qu'ils peuvent être vraiment désespérants ces mômes. Sauf qu'ils sont chargés de poésie. Ach trop dur.
Ben, make your choice and good luck!
J'aimerais me faire tout petit tout manouche, m'installer près du radiateur pour voir comment tu t'y prend pour que la pensée et la langue montrent le bout de leur nez où on ne les espère pas. Il me semble que Montaigne à quelque chose à dire aux sauvages, Montesquieu aux troglodytes, qui leur rendrait un peu de leur dignité. Je ne t'en voudrais pas non plus de renoncer à la vertu plutôt qu'à la liberté. Mais la liberté, c'est justement d'avoir le choix.
Alors, sois libre.
En voilà un putain de conseil inutile...
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